Le comédien Nouhoum Cissé, alias Baniengo, s’est éteint. Figure emblématique du théâtre populaire malien, il laisse derrière lui un héritage de lucidité, d’humour et d’engagement au service du peuple.
Il était l’un de ces visages familiers que le Mali croyait éternels. De ceux qu’on ne regarde pas seulement pour rire, mais pour se reconnaître. Baniengo — de son vrai nom Nouhoum Cissé — n’est plus. Et c’est un peu du théâtre populaire malien, avec ses rires francs, ses silences complices et ses satires acérées, qui s’en va avec lui.
Né un 31 décembre, à la veille d’une année et peut-être d’un monde, dans le petit village de Tayinibougou, cercle de Kita, il avait ce qu’on appelle l’art de faire peuple. D’abord professeur, donc transmetteur de savoirs. Mais très vite, l’appel de la scène : non pas celle des élites, mais celle des quartiers, des foires, des biennales, où l’on joue pour instruire sans avoir l’air d’enseigner. Il n’avait pas appris le théâtre, il le savait.
Un griot debout, un miroir sans pitié
Baniengo, c’était un pseudonyme, mais surtout un personnage devenu mythe. À travers lui, Nouhoum Cissé n’imitait pas la société malienne, il la révélait. Ses sketchs — qu’il s’agisse de « La démocratie selon Bayengo», d’imams improbables ou de vieilles dames refusant le temps — n’étaient jamais anodins. Toujours drôles, mais jamais creux. L’humour chez lui était une stratégie de lucidité. Un instrument de dévoilement plus que de divertissement.
À une époque où les discours officiels peinaient à convaincre, lui parlait vrai avec les outils du faux. Une chaise, un boubou, un accent, et le pays tout entier se retrouvait dans ses métaphores vivantes. Ce n’est pas tant qu’il faisait rire, c’est qu’il faisait du rire une arme douce contre la bêtise et l’abus.
L’homme derrière le masque
Mais derrière les rideaux, un formateur, un homme de transmission. Il croyait à l’éducation populaire. Il la pratiquait sans jargon. Pour lui, le théâtre était un service public, au même titre que l’école ou la santé. Il formait des jeunes, encadrait des campagnes de sensibilisation, militait à sa manière pour une citoyenneté active, loin des conférences en costume.
Il disait un jour : « Je veux vivre éternellement. Pour ce faire, il faut que je fasse tache d’huile dans la culture malienne. » Paroles d’artiste ? Oui. Mais surtout testament de mission.
Une disparition, une bascule
Sa mort est plus qu’une perte individuelle. Elle marque la fin d’un cycle. Celui où les grands conteurs maliens faisaient office de boussole sociale. Dans un pays où la parole est or, Baniengo était lingot. Il n’avait ni studio ni plateforme, mais son influence pesait plus que bien des tribunes officielles.
Aujourd’hui, au Mali comme ailleurs, le théâtre populaire vacille, pris en étau entre réseaux sociaux et standardisation culturelle. Mais tant qu’on se souviendra d’un sketch de Baniengo, tant qu’un jeune comédien reprendra ses gestes ou ses silences, le rire vivra encore comme un acte de résistance.
Baniengo est mort. Mais Nouhoum Cissé nous laisse un legs vivant : celui d’un art qui ne s’excuse pas d’être du peuple, pour le peuple, avec le peuple.
Chiencoro Diarra
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