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Mahamoudou Savadogo : « La Guinée pourrait servir d’ouverture vers la mer pour le Burkina et le Mali »

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Mahamoudou Savadogo, expert en sécurité, basé à Ouagadougou, membre de la Coalition citoyenne pour le Sahel, nous livre, dans ce premier numéro de l’hebdomadaire Sahel Kunafoni, ses analyses sur la situation socio -politico-sécuritaire du Sahel, notamment du Mali, du Burkina Faso, de la Guinée et même du Niger. Selon lui, une alliance à trois (entre le Mali, le Burkina Faso et la Guinée) se dessine. Il invite aussi à revoir la forme actuelle du panafricanisme et se prononce sur le départ des forces françaises de certains pays du sahel.

Sahel Kunafoni : quelle analyse faites-vous de la situation au Sahel, depuis les coups d’État militaires au Mali, en Guinée puis au Burkina Faso ?

Mahamoudou Savadogo : la situation sécuritaire ne s’est pas du tout améliorée dans cette région. Elle continue de se dégrader. En plus du problème sécuritaire, il y a aussi la situation socio-politique, qui est de plus en plus délétère.

Paradoxalement, on voit que du côté du Niger, qui a une relative stabilité institutionnelle, les choses sont beaucoup plus stables que les pays qui connaissent des coups d’État. On peut donc dire que les coups d’État ont contribué à dégrader la situation sécuritaire dans ces pays.

Cette dégradation, après une année de règne militaire, est très inquiétante et interpelle la communauté internationale et surtout la communauté humanitaire pour qu’elles soient plus regardantes et se penchent sur les besoins de ces populations qui sont presque abandonnées à elles-mêmes, au bon vouloir des militaires.

Le Burkina Faso a demandé le départ de la Force Sabre, la force française présente dans le pays. Comment comprenez-vous cette décision ?

Le départ de Sabre peut-être expliqué comme étant une volonté populaire. Ce gouvernement de transition, qui se base sur la volonté des populations, a décidé d’exercer cette volonté populaire.

Dès leur arrivée au pouvoir, les militaires ont décidé de ne plus tenir compte de l’aide française. Depuis le deuxième coup d’État, ils n’ont plus fait appel à l’assistance logistique française. Ce qui les a permis, pendant trois mois, d’être un peu plus indépendants vis-à-vis de la logistique française et de décider de se départir de cette aide.

Quel est le fond du problème entre les deux pays, selon vous ?

Lorsque Sabre s’installait, c’était pour des besoins individuels du président français et de son homologue burkinabè, qui voulait de cette force pour se protéger. C’est ce rôle que cette force a effectivement joué puisqu’elle a exfiltré le président du Faso au moment où il avait perdu le pouvoir.

Face à la dégradation de la situation sécuritaire, les populations, exaspérées, ont rapidement trouvé un bouc-émissaire : la présence française, notamment la force spéciale Sabre.

Il ne faut pas oublier aussi que le Burkina se tourne de plus en plus vers l’allié russe, qui met de plus en plus la pression sur la France.

C’est tous ces aspects qui auraient motivé la rupture de la coopération militaire entre le Burkina et la France. Toutefois, il faut noter que cette coopération continue, sur d’autres aspects, puisque nous avons toujours chez nous des assistants techniques français, et aussi de la coopération en termes d’instruction, qui fait que des militaires burkinabè sont toujours formés par des militaires français.  

Faut-il prévoir une alliance des trois pays (Mali, Burkina et Guinée), dans cette vaste région ?

L’alliance est en train de se dessiner lentement puisqu’on voit que les trois pays sont en lien. Ils sont en train de renforcer leur coopération. La Guinée pourrait servir d’ouverture vers la mer pour le Burkina et le Mali. L’axe Guinée-Burkina est en train de se dessiner.

Au fond, qu’est-ce qui oppose ces pays à la France ? Pourquoi est-elle prise pour cible ?

Je dirais que la France a joué une mauvaise diplomatie. Ce pays est considéré comme une rente pour accéder au pouvoir en Afrique de l’ouest et particulièrement dans ces pays.

Au moment où la France avait toujours beaucoup de crédibilité, elle était toujours en accointance avec ces chefs d’État directement plutôt qu’en accord avec les peuples africains. Ce qui a fait qu’aujourd’hui, lorsque les peuples africains ont eu l’occasion, ils n’ont pas hésité à jeter la France en pâture. C’est la France qui a exfiltré le président burkinabè. Elle a soutenu IBK (Ibrahim Boubacar Kéïta au Mali) jusqu’à la dernière minute. Elle a soutenu ces pouvoirs burkinabè et malien, malgré leur état de corruption.

Ce soutien de la France a empêché ces chefs d’État d’équiper leur pays sur le plan logistique. Ils ont cru que même s’ils ne l’équipent pas, la France serait toujours là pour couvrir leur détournement et couvrir leur mauvaise gouvernance.

C’est ce rôle qui a valu l’inimité de la France vis-à-vis des populations. C’est une erreur qu’il va falloir corriger.

Les populations de ces pays ont-elles oublié l’aide de la France ?

Il faut plutôt souligner à ce niveau une erreur de communication. L’aide de la France à ces pays n’était pas perçue par les populations comme une aide en leur endroit, mais plutôt comme une assistance directement aux présidents. Il serait mieux de revoir cet aspect.

Malgré tout, il ne faudrait pas perdre de vue que la France a permis de stopper l’avancée des groupes terroristes dans ces pays. Un geste qui avait été mis au compte de ces chefs d’État, qui avaient fait croire aux populations qu’ils avaient équipé les forces de défense comme il se doit, alors que l’argent allait ailleurs.

Comment expliquez-vous l’apparition inattendue d’Iyad Ag Ghaly, dans la région de Ménaka au Mali, à moins d’une semaine après les célébrations du 62e anniversaire de l’armée malienne et à un moment où on parle de plus en plus de « montée en puissance » de cette armée ?

Je n’ai pas trop d’informations sur cette réapparition. Mais je crois qu’Iyad est en train de chercher des alliances avec les groupes armés comme la GATIA (Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés) et la MAA (Mouvement arabe de l’Azawad). Je crains davantage qu’il réussisse. Car cela va isoler davantage la junte malienne.

À quoi faut-il craindre de cette tendance des autorités de ces deux pays à s’orienter vers le tout militaire dans cette lutte contre le terrorisme ?

Le tout militaire ne fera qu’exacerber la crise sécuritaire. Elle ne fera que généraliser la violence au détriment des populations. Les réponses militaires ne sont pas adaptées.

Dans ces pays, nous avons des zones où règnent des exactions armées locales ; des zones où c’est l’État qui doit se remettre en cause. Dans d’autres aussi, c’est l’administration qui était absente ou doit simplement faire sa mue.

Si on apporte une réponse militaire dans un tel contexte, on ne trouvera pas la solution. Il vaut mieux analyser de façon plus approfondie les causes qui ont fait basculer dans la violence dans ces régions plutôt que d’apporter une réponse tout-sécuritaire qui n’est qu’un raccourci pour répondre à la menace terroriste.

Concrètement, pensez-vous que le panafricanisme est une solution aux problèmes socio -politico-sécuritaire de ces pays sahéliens ?

Le panafricanisme, sous cette forme, n’est pas la réponse aux problèmes que nous vivons. Le panafricanisme doit résider dans la bonne gouvernance, dans l’ouverture aux autres peuples, dans l’intérêt supérieur des populations, que doivent prôner les dirigeants.

Le panafricanisme ne doit pas se résoudre dans le déni, dans les accusations, dans la théorie du complot, en accusant tout le monde d’être responsable de ce qui nous arrive. Vu sous cette forme, il n’est pas la solution. Il faudra revoir et corriger cette conception, à temps, avant que nous ne basculions dans le désordre.

Propos recueillis et retranscrits par F. Togola pour Sahel Kunafoni


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