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Les tirailleurs sénégalais : traîtres ou héros ? Une mémoire sous Tension

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Les tirailleurs sénégalais sont au cœur d’une vive polémique au Sénégal. Le ministre Cheikh Oumar Diagne a déclenché une tempête en les qualifiant de « traîtres » ayant combattu leurs propres frères africains, des propos qui ont suscité une indignation massive. 

Le débat sur les tirailleurs sénégalais, ces soldats recrutés par la France coloniale pour défendre ses intérêts, a ressurgi de manière fracassante au Sénégal. Le ministre Cheikh Oumar Diagne a en effet qualifié ces hommes de « traîtres » ayant combattu leurs propres frères africains. Cette déclaration, faite dans une interview sur Fafa TV, a provoqué une vague d’indignation dans les médias, sur les réseaux sociaux et parmi les intellectuels.

Une mémoire complexe et douloureuse

Les tirailleurs sénégalais incarnent une part complexe de l’histoire coloniale. D’un côté, ils symbolisent le sacrifice et l’héroïsme, ayant participé aux deux guerres mondiales aux côtés de la France. De l’autre, leur rôle dans la répression des révoltes anti-coloniales en Afrique a entaché leur image dans certaines mémoires collectives. En les qualifiant de « traîtres », Cheikh Oumar Diagne a ravivé ces tensions.

Sur la radio RFM, l’historien Mamadou Fall a rappelé que réduire les tirailleurs à des « traîtres » revient à ignorer leur souffrance et leur courage. « Certes, la France leur a parfois fait accomplir des tâches ignobles, mais leur histoire dépasse cette dimension réductrice », a-t-il expliqué. Mamadou Fall, spécialiste de l’histoire coloniale, a également souligné que ces soldats étaient souvent contraints, par les pressions économiques ou sociales, à servir dans l’armée française.

Thiaroye 1944 : une tragédie au cœur des mémoires

La polémique intervient dans un contexte de commémoration du massacre de Thiaroye, un événement tragique survenu le 1er décembre 1944. Ce jour-là, les forces coloniales françaises ont ouvert le feu sur des tirailleurs africains, récemment rapatriés des combats en Europe, qui revendiquaient le paiement de leurs soldes.

Longtemps occultée, cette tragédie a récemment été reconnue comme un massacre par la France. Le Sénégal, sous la présidence de Bassirou Diomaye Faye, a organisé cette année une commémoration d’une ampleur inédite. Le massacre de Thiaroye est désormais inscrit dans les programmes scolaires sénégalais et sera honoré par des noms de rues. Cependant, de nombreuses zones d’ombre subsistent : le nombre exact de victimes, les lieux d’inhumation, et l’identité de ceux qui reposent dans les tombes anonymes du cimetière de Thiaroye.

Les propos du ministre Cheikh Oumar Diagne ont suscité un tollé, à la fois au Sénégal et à l’étranger. Sur internet, de nombreuses voix ont dénoncé un manque de respect envers des hommes qui, bien que pris dans les contradictions du système colonial, ont sacrifié leur vie. Certains appellent même à sa démission, jugeant ses propos incompatibles avec ses fonctions. La question posée par ses déclarations est cependant légitime : comment juger des hommes engagés dans une armée coloniale, parfois contre leur gré, pour des causes souvent opposées aux intérêts de leur propre peuple ?

Tirailleurs : une mémoire à protéger

La controverse met en lumière l’importance de préserver et de nuancer la mémoire des tirailleurs sénégalais. Ces hommes, héros pour certains, figures controversées pour d’autres, ont été des acteurs malgré eux d’une histoire qui ne leur a souvent pas laissé le choix. Le massacre de Thiaroye symbolise cette ambiguïté : il est à la fois une tragédie à ne jamais oublier et un rappel des injustices subies par les soldats africains sous le joug colonial.

Au-delà de cette polémique, c’est un appel à la réflexion collective. Comment transmettre aux générations futures une mémoire équilibrée de ces hommes ? Comment leur rendre justice, sans tomber dans des jugements simplistes ou anachroniques ? Ces questions, posées aujourd’hui au Sénégal, résonnent bien au-delà de ses frontières. Elles interrogent le rapport de l’Afrique à son passé colonial, à ses luttes pour l’indépendance, et à ceux qui, dans des contextes ambigus, ont dû naviguer entre loyauté et contrainte.

À une époque où les mémoires coloniales restent sensibles, les propos du ministre ont peut-être échoué à fédérer. Mais ils rappellent une vérité essentielle : les tirailleurs sénégalais, qu’ils soient perçus comme des héros ou des instruments du système colonial, doivent être compris dans toute la complexité de leur histoire.

Oumarou Fomba 


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