La réintroduction de la peine de mort au Burkina Faso, envisagée par les militaires au pouvoir, relance le débat entre sécurité nationale et respect des droits humains.
Depuis l’abolition de la peine de mort en 2018, le Burkina Faso avait rejoint le cercle des pays africains ayant renoncé à cette sentence ultime, symbolisant un pas vers une justice plus respectueuse des droits humains. Cependant, sous l’impulsion de la des autorités de la transition, dirigée par le capitaine Ibrahim Traoré, la peine capitale pourrait bientôt faire son retour dans le Code pénal burkinabé. Vendredi 8 novembre, le ministre de la Justice, Edasso Rodrigue Bayala, a en effet annoncé devant l’Assemblée législative de transition que des discussions étaient en cours pour réinstaurer cette sanction pour les crimes liés au terrorisme, à la trahison, et aux atteintes à la sûreté de l’État. Que signifie ce retour en arrière pour un pays en proie à de multiples tensions et comment interpréter cette volonté de dissuasion sévère ?
Une décision en réponse aux défis sécuritaires
Depuis des années, le Burkina Faso est confronté à une recrudescence d’attaques terroristes, de menaces internes et de troubles socio-politiques. Ces défis complexes placent la sécurité au cœur des priorités de la transition. La résurgence de la peine de mort est ainsi justifiée par l’exécutif burkinabé comme un moyen dissuasif face aux complices du terrorisme ou à ceux qui menacent la stabilité de l’État. En s’attaquant aux symboles les plus graves de la violence interne et de la trahison, le gouvernement espère renforcer son emprise et décourager les velléités de déstabilisation. La restauration de la peine de mort est donc présentée comme une réponse forte, au moment où le pays doit faire face à des forces qui minent son unité et son intégrité.
Cependant, il convient de s’interroger sur l’efficacité réelle d’une telle mesure dans la lutte contre le terrorisme et la trahison. La peine capitale peut certes apparaître comme un moyen radical de dissuasion, mais son impact dans un contexte de guerre asymétrique est plus difficile à évaluer. Les groupes terroristes et leurs complices agissent souvent en marge des lois nationales et ne sont pas facilement influencés par des peines qui s’appliquent avant tout aux citoyens sous l’autorité directe de l’État. D’autres mesures de renforcement sécuritaire ou de contrôle des frontières pourraient s’avérer plus utiles et constructives.
Un recul sur les droits humains et la justice
L’annonce de ce projet de loi marque un retour en arrière sur le plan des droits humains, à contre-courant des réformes entreprises sous le régime civil de Roch Marc Christian Kaboré, qui avait officiellement aboli la peine de mort en 2018. Ce choix s’inscrivait dans une volonté de modernisation et d’humanisation de la justice burkinabé, alignée sur les standards internationaux. Aujourd’hui, rétablir la peine capitale pourrait isoler le pays sur le plan diplomatique, d’autant que la communauté internationale, particulièrement les institutions de défense des droits humains, voient dans la peine de mort une violation des droits fondamentaux.
Le retour de la peine capitale soulève également des questions sur les principes d’équité et d’impartialité de la justice burkinabé. En réintégrant cette sanction extrême, l’État risque de créer un précédent dangereux qui pourrait mener à des abus, en particulier dans un contexte où les normes de transparence judiciaire peuvent être fragilisées sous un régime militaire. La justice burkinabé peut-elle garantir que la peine capitale sera appliquée avec toute la rigueur et l’objectivité requises ? L’histoire récente du Burkina Faso a montré, avec le cas de Norbert Zongo et d’autres, que des zones d’ombre persistent autour de certaines affaires politiques sensibles.
La peine de mort comme symbole de souveraineté
Ce projet de loi s’inscrit également dans une logique de souveraineté revendiquée par le capitaine Traoré et son Gouvernement, qui ont fait de la restauration de l’ordre et de la sécurité des éléments centraux de leur politique. Dans un pays où le respect des traditions et de la souveraineté est essentiel, les autorités au pouvoir se placent en héritière de valeurs où la peine capitale, bien que controversée, peut apparaître aux yeux d’une partie de la population comme un outil légitime pour défendre la « terre des Hommes intègres ».
Ce retour symbolique de la peine de mort pourrait aussi être interprété comme un signal politique destiné à affirmer l’autorité de l’État face aux groupes armés et aux puissances étrangères. En ciblant des infractions comme la « trahison » ou la « collaboration avec des puissances étrangères », le Burkina Faso semble adresser un message fort à ses adversaires, tout en réaffirmant une indépendance face aux influences extérieures.
Vers un débat citoyen et politique sur l’avenir de la justice burkinabé ?
Face à cette potentielle réintégration de la peine de mort, un débat semble nécessaire au sein de la société burkinabé pour évaluer les valeurs que l’on souhaite voir incarnées par la justice nationale. La réintroduction de cette sentence divise et appelle à une réflexion approfondie : quelles alternatives dissuasives et sécuritaires pourraient être envisagées pour protéger le pays sans sacrifier les droits fondamentaux ? La question de la peine de mort ne devrait pas être abordée uniquement sous le prisme sécuritaire, mais aussi à travers les principes de dignité et de respect pour la vie humaine, qui font partie de l’identité et des valeurs universelles.
Alors que le Burkina Faso traverse des périodes de turbulence, cette décision peut donner lieu à une prise de conscience collective sur la justice que souhaite construire ce pays. En réintroduisant la peine de mort, le régime militaire choisit une voie radicale pour protéger l’État, mais il s’éloigne également d’un progrès juridique qui avait été salué à l’échelle internationale.
Entre sécurité et humanité : le défi de la justice au Burkina Faso
À l’heure où les autorités de la transition de Ouagadougou avancent vers des réformes rigoureuses pour protéger l’État, elle semble se heurter au dilemme entre sécurité et droits humains. La peine de mort, perçue comme une solution rapide aux menaces intérieures, n’est qu’une réponse partielle aux défis profonds que traverse le Burkina Faso. Ce projet suscite donc des interrogations légitimes et révèle un besoin urgent de réconcilier la sécurité nationale avec le respect des principes humanitaires.
L’avenir du Burkina Faso se jouera sans doute dans l’équilibre entre une justice ferme et une justice juste. La restauration de la peine de mort peut être perçue comme un moyen de garantir la stabilité à court terme, mais la vraie question demeure : quelle place les autorités burkinabé veulent-elles donner aux droits humains dans leur vision de l’avenir ? Le retour de la peine capitale n’est pas seulement une question de politique sécuritaire, mais un test pour l’identité même du pays, pour ses valeurs, et pour le respect de la vie humaine dans la justice des Hommes intègres.
Oumarou Fomba
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