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Laïcité et islamophobie : un cercueil, deux patries, une blessure

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Assassiné en pleine prière, dans une mosquée du sud de la France, Aboubakar Cissé n’est pas seulement une victime. Il est devenu le symbole d’un climat islamophobe qui ne se cache plus, d’un déséquilibre dans les hommages républicains, et d’un malaise français que les chiffres, comme les silences, ne peuvent plus camoufler.

Il y a des morts qui ne laissent pas les consciences indemnes. Des morts qui, loin du fait divers, réveillent l’Histoire, bousculent les principes, révèlent ce que la République a du mal à regarder : ses angles morts. Celle d’Aboubakar Cissé, poignardé dans une mosquée du Gard le 25 avril 2025, est de celles qui parlent davantage du climat d’un pays que de son agresseur. Car ce qui s’est joué dans la mosquée Khadidja de La Grand-Combe n’est pas seulement le drame d’un homme : c’est un échec collectif.

Aboubakar avait 22 ans. Malien, musulman, croyant tranquille, il priait seul dans un lieu de culte, sanctuaire par essence, lorsque la haine est venue le chercher, sous la forme d’un jeune homme français, armé d’un couteau et d’un mépris glaçant. Poignardé à plusieurs dizaines de reprises, filmé, insulté, ciblé pour ce qu’il était, pas pour ce qu’il avait fait. L’enquête, ouverte pour meurtre aggravé à raison de la religion ou de la race, fait déjà écho à une autre demande, plus profonde, portée par sa famille : la reconnaissance de l’acte terroriste. Car frapper un musulman dans une mosquée, au nom de son appartenance religieuse, c’est frapper au cœur même de ce qu’une société prétend garantir : la liberté de croire sans crainte.

Une République sous tension

En France, la laïcité est une fierté ancienne, une conquête historique. Mais elle devient parfois un alibi, un outil à géométrie variable, utilisé tantôt pour protéger, tantôt pour exclure. Dans son esprit originel, la laïcité garantit la neutralité de l’État et protège toutes les confessions. Mais dans sa dérive contemporaine, elle est parfois invoquée non pas pour libérer l’espace public, mais pour y désigner des présences religieuses comme suspectes.

La mosquée, lieu de recueillement, devient alors un lieu d’exposition. Le croyant, un citoyen à défendre sur le papier, mais à suspecter dans les urnes, à marginaliser dans les débats. Et l’agression d’Aboubakar s’inscrit dans cette atmosphère saturée de discours sécuritaires, où des responsables publics, des éditorialistes, des lois mêmes, finissent par installer l’idée qu’il y aurait une religion moins compatible, plus problématique, plus surveillée que les autres.

Une haine normalisée

Entre janvier et mars 2025, 79 actes antimusulmans ont été recensés en France, soit une hausse de 72 % en un an. Mais les chiffres ne disent pas tout. La parole islamophobe s’est banalisée. Les stigmatisations vestimentaires — hijab, abaya, barbe — deviennent des marqueurs politiques. Les lieux de culte musulmans sont régulièrement vandalisés. Et l’opinion publique s’habitue. À force d’entendre que la laïcité est en danger, on en vient à percevoir la foi visible comme une menace.

Pourtant, la vraie laïcité, celle de la loi de 1905, n’est pas là pour contrôler les croyants, mais pour garantir qu’ils puissent pratiquer — ou non — dans la paix. Elle ne trie pas entre les religions. Elle ne hiérarchise pas les douleurs. Et c’est en cela que le traitement du meurtre d’Aboubakar Cissé interroge : pas de minute de silence à l’Assemblée nationale sans polémique, peu d’élans officiels, une gêne palpable dans les mots. Comme si reconnaître le drame risquait de déranger un équilibre fragile entre sécurité et intégration.

L’Afrique, témoin inquiet

Au Mali, la dépouille d’Aboubakar sera rapatriée. À Paris, la Grande Mosquée lui a rendu hommage. Partout, des prières ont été dites. Mais l’émotion ne suffit plus. Dans les quartiers de France, au sein de la diaspora, chez les binationaux et les croyants, une question flotte : « À qui le tour ? » Et dans les capitales africaines, on observe. On prend acte. Car ce drame réveille l’inquiétude grandissante sur le traitement réservé aux enfants issus de l’immigration, surtout quand ils portent un prénom musulman, surtout quand ils croient.

La mort d’Aboubakar Cissé ne pose pas seulement la question du racisme ou de l’islamophobie. Elle renvoie à la crise d’un modèle d’intégration qui n’a pas su, ou pas voulu, faire toute sa place à ceux qu’il prétendait inclure. Ce n’est pas la foi qui menace la République. C’est la République qui se trahit quand elle devient sourde à la souffrance d’une partie de ses enfants.

Aboubakar est mort en citoyen silencieux. Il ne revendiquait rien, sinon le droit de prier. Il est tombé sur un tapis de prière, dans un pays qui prétend garantir la liberté de conscience. Et ce sang-là, versé en temps de paix, au nom d’une haine devenue structurelle, oblige. Il oblige la justice, il oblige les politiques, il oblige les consciences.

Car quand une foi devient une cible, c’est la République elle-même qui devient vulnérable.

Chiencoro Diarra 


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