La digitalisation de l’administration au Mali promet de révolutionner la lutte contre la bureaucratie et la corruption. Mais cette transformation technologique suffira-t-elle à changer des pratiques profondément enracinées ?
La bureaucratie malienne, cette vieille amie qu’on connaît tous, celle qui nous fait patienter des heures dans des files interminables, qui nous demande de revenir demain pour un papier manquant, et qui, parfois, nous oblige à glisser discrètement un billet pour accélérer les choses. Et voilà que l’on nous annonce que la digitalisation va mettre fin à tout ça. La digitalisation, cette baguette magique qui promet de transformer l’administration malienne, de réduire la bureaucratie, et surtout, de lutter contre les pratiques illicites. Vraiment ?
Derrière les machines, des humains avec leurs habitudes
D’un côté, on ne peut s’empêcher de trouver l’idée séduisante : un clic pour obtenir un acte de naissance, une connexion internet pour faire une demande de permis de conduire, plus besoin de faire la queue dans des bureaux surchauffés où l’ennui le dispute à l’agacement. La digitalisation semble être la solution miracle à tous les maux de notre administration. Mais soyons réalistes : est-ce vraiment aussi simple ?
Commençons par rappeler que la digitalisation de l’administration n’est pas une nouveauté en soi. D’autres pays africains s’y sont essayés, avec des succès variés. Certains ont effectivement vu une réduction des délais de traitement, une plus grande transparence dans les procédures, et même une diminution des pratiques de corruption. Mais ce n’est pas parce qu’une idée fonctionne ailleurs qu’elle s’implante de la même manière chez nous. Ici, au Mali, la réalité est complexe, avec des défis uniques qui vont bien au-delà de la simple mise en place d’un système informatique.
La digitalisation, c’est un peu comme une belle robe sur un corps malade. Ça fait illusion, mais ça ne règle pas le fond du problème. Parce que derrière les ordinateurs, les formulaires en ligne, et les systèmes automatisés, il y a toujours des humains. Des humains avec leurs habitudes, leurs intérêts, et parfois, leurs petites combines. Qu’est-ce qui nous garantit que le même fonctionnaire qui demandait un “petit quelque chose” pour accélérer un dossier ne trouvera pas un moyen de contourner le système numérique pour continuer ses pratiques ? Rien, en réalité.
Et puis, il y a la question de l’accessibilité. Nos parents, nos grands-parents, ceux qui n’ont jamais touché à un ordinateur, comment feront-ils ? Pour eux, la digitalisation risque d’être synonyme de marginalisation. Ils se retrouveront face à une administration encore plus distante, plus compliquée, et peut-être même plus inhumaine qu’avant. Certes, le gouvernement peut mettre en place des points d’accès public, offrir des formations, mais il n’empêche que le fossé numérique est bien réel, et qu’il risque de laisser sur le carreau une partie de la population.
La technologie ne peut pas changer les comportements enracinés
Cela dit, soyons un peu optimistes, car tout n’est pas noir. La digitalisation pourrait effectivement réduire certaines pratiques illicites. Avec des systèmes plus transparents, traçables, il deviendra plus difficile de faire disparaître un dossier ou de le “retrouver” contre un billet glissé sous la table. Mais attention, ce ne sera pas une révolution instantanée. Le chemin est long, semé d’embûches, et il faudra beaucoup de volonté politique et de vigilance citoyenne pour que la digitalisation tienne toutes ses promesses.
Et c’est là que le bât blesse. La volonté politique. Pour que la digitalisation soit un succès, il ne suffit pas d’installer des ordinateurs et des logiciels. Il faut un véritable engagement à tous les niveaux, pour s’assurer que la technologie ne soit pas détournée de ses objectifs initiaux. Cela signifie former correctement les agents, créer des systèmes de contrôle efficaces, et surtout, sanctionner ceux qui tentent de contourner le nouveau système.
Enfin, n’oublions pas que la technologie n’est qu’un outil. Elle est aussi efficace que ceux qui l’utilisent. Si l’on espère que la digitalisation transformera radicalement notre administration, il faut aussi s’assurer que les mentalités évoluent en même temps. Le respect des procédures, l’intégrité, la transparence, voilà les véritables clés d’une administration efficace. La technologie peut faciliter les choses, mais elle ne peut pas changer les comportements enracinés.
Éradiquer la bureaucratie et la corruption
Alors, la digitalisation de l’administration malienne ? Une bonne idée, certainement. Mais de là à croire qu’elle va, à elle seule, éradiquer la bureaucratie et la corruption, il y a un pas qu’il ne faudrait pas être prêt à franchir. Attendons de voir si cette robe numérique sera bien taillée pour le corps de notre administration, ou si elle ne fera que masquer des problèmes bien plus profonds.
En attendant, croisons les doigts, et espérons que cette fois, on ne sera pas encore les victimes d’une belle promesse sans lendemain. Parce qu’après tout, la bureaucratie malienne a bien plus de tours dans son sac que ce que l’on veut bien croire. Et il faudra bien plus qu’un simple coup de baguette digitale pour en venir à bout.
Oumarou Fomba
En savoir plus sur Sahel Tribune
Subscribe to get the latest posts sent to your email.