En reprenant l’aéroport international de Khartoum, l’armée soudanaise marque une victoire stratégique et symbolique dans un conflit qui, deux ans après son déclenchement, continue de broyer un pays exsangue.
Khartoum, mercredi 26 mars. Un aéroport de nouveau entre les mains des troupes régulières. Un palais présidentiel repris. Une capitale, morcelée depuis près de deux ans, où les civils recommencent à célébrer – prudemment – dans les rues. Ce jour-là, le général Abdel Fattah al-Burhane n’a pas seulement repris l’aéroport international de Khartoum, il a reconquis un symbole. Celui d’un État qui n’avait plus d’adresse.
La reconquête, ou la revanche de l’institution
Car dans ce conflit fratricide, commencé en avril 2023 entre deux anciens frères d’armes devenus ennemis – le chef des Forces de soutien rapide (FSR), Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemetti », et l’actuel homme fort du régime militaire – les batailles ne sont jamais seulement militaires. Elles sont fondamentalement politiques, urbaines, symboliques.
Cela faisait des mois que l’armée soudanaise encaissait, se repliait, s’accrochait à quelques bastions dans le nord et l’est du pays, pendant que les FSR étendaient leur emprise sur le Darfour et les périphéries urbaines. On l’avait crue à bout de souffle, exsangue, fragmentée. Mais depuis la fin 2024, une dynamique inverse s’est amorcée.
La reprise de l’aéroport, du palais présidentiel, de la banque centrale, des services de renseignement et du Musée national, en quelques jours seulement, marque un basculement inattendu du rapport de force. L’armée, acculée, a réappris à avancer.
Une capitale à bout de souffle
Khartoum, ville défigurée, exsangue, n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut. Plus de 3,5 millions de déplacés, des quartiers entiers rasés, des institutions saccagées, une population prise en étau entre deux armées dont les lignes de front passent par les cuisines, les marchés, les mosquées.
L’armée, en reprenant pied, ne délivre pas, elle libère à moitié. Car si les images de civils acclamant la fuite des FSR circulent, la réalité humanitaire est autrement plus dramatique : bombardements, famine, évacuations improvisées, et un Darfour toujours sous contrôle paramilitaire, où l’ombre du génocide plane encore.
Une guerre sans fin, mais pas sans enjeu
Depuis avril 2023, cette guerre a tué des dizaines de milliers de personnes, déplacé plus de 12 millions d’autres, réduit le Soudan à un champ de ruines diplomatiques. Un pays autrefois au cœur de l’Union africaine, aujourd’hui traité à la marge des priorités internationales. Une tragédie oubliée, où les puissances parlent de cessez-le-feu, mais observent surtout, en silence, qui prendra le dessus.
Les États-Unis ont sanctionné les deux hommes forts, accusant Hemetti de génocide au Darfour. Les Nations unies dénoncent, dans un ballet de communiqués, les frappes sur les civils, comme ce raid meurtrier sur un marché de Tora, ou l’attaque d’une mosquée à Khartoum. Mais aucun des deux camps ne montre le moindre signe de recul.
Une victoire, et après ?
Ce mercredi, les images de soldats posant fièrement devant le palais présidentiel, drapeau à la main, ont une portée qui dépasse le Soudan. Elles disent le retour d’un pouvoir centralisé, d’un État qui veut encore exister. Mais elles ne disent rien de ce qu’il adviendra demain.
Le Darfour demeure aux mains des FSR. Le sud du pays est une zone grise. Et les failles, nombreuses, entre civils et militaires, entre islamistes et réformateurs, entre révolutionnaires trahis et généraux intronis.
Khartoum est peut-être reprise. Mais le Soudan, lui, reste à reconstruire. Et la paix, dans ce pays suspendu entre deux rives du Nil, ne viendra ni d’un drapeau hissé ni d’un aéroport sécurisé – mais d’une volonté collective que ni Burhane, ni Hemetti, n’ont pour l’heure su incarner pleinement.
La rédaction
En savoir plus sur Sahel Tribune
Subscribe to get the latest posts sent to your email.