Au cours de sa visite d’amitié et de travail à Abidjan, le président ghanéen John Dramani Mahama a été mandaté par son homologue ivoirien Alassane Ouattara pour tenter de renouer le dialogue entre la CEDEAO et l’Alliance des États du Sahel (AES). Cette mission intervient dans un contexte régional tendu, marqué par la rupture déclarée du Mali, du Burkina Faso et du Niger avec l’organisation ouest-africaine.
Le retrait officiel du Mali, du Burkina Faso et du Niger en janvier 2024 a ouvert une crise profonde. Ces États ont pris des mesures symboliques et structurelles pour marquer leur rupture définitive avec l’organisation sous-régionale. En effet, la création du passeport AES, le départ des fonctionnaires de la CEDEAO et le renforcement de leur coopération militaire et économique marquent un point de non-retour. Leur volonté d’émancipation repose sur une critique radicale du fonctionnement de l’organisation sous-régionale, qu’ils accusent d’être sous l’influence des puissances occidentales et de ne pas répondre efficacement aux enjeux sécuritaires du Sahel.
Une mission impossible pour John Dramani Mahama ?
Alassane Ouattara a mandaté le nouveau président ghanéen John Dramani Mahama pour renouer le dialogue entre la CEDEAO et l’AES. Toutefois, cette tentative de médiation semble vouée à l’échec. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont clairement indiqué qu’ils ne reviendraient pas sur leur décision, affirmant leur volonté de souveraineté totale.
Ce retrait définitif s’inscrit dans une reconfiguration géopolitique plus large. L’AES se rapproche progressivement de nouveaux partenaires, comme la Russie, la Turquie et la Chine, et cherche à se libérer de l’influence occidentale. Cette dynamique remet en cause le leadership de la CEDEAO et oblige l’organisation à revoir en profondeur son rôle et ses mécanismes de gouvernance.
La CEDEAO se trouve à un tournant crucial. Si elle persiste dans son modèle actuel, elle risque de perdre en influence face à l’émergence de nouvelles alliances régionales. Une réforme structurelle, intégrant davantage les aspirations souverainistes des États membres, pourrait être la seule voie pour préserver son unité et éviter un affaiblissement progressif.
Quelle est la principale crainte des dirigeants de la CEDEAO ?
La CEDEAO tient à voir le Mali, le Burkina Faso et le Niger réintégrer l’organisation, car leur départ pourra fragiliser considérablement la région sur les plans sécuritaire, économique et géopolitique. Ces trois pays jouent un rôle clé dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, et leur absence risque de compliquer la coordination régionale face aux groupes armés. De plus, avec plus de 72 millions d’habitants, ils représentent une part significative du marché commun, dont la réduction pourrait affaiblir les ambitions économiques de la CEDEAO, notamment le projet de monnaie unique. Leur retrait menace aussi les échanges commerciaux entre le Sahel et les pays côtiers, mettant en péril les économies du Nigeria, de la Côte d’Ivoire et du Ghana.
Au-delà des enjeux économiques et sécuritaires, la CEDEAO craint un effet domino qui pourrait encourager d’autres États à suivre la même voie, accélérant ainsi sa fragmentation. Cette crise constitue aussi un revers diplomatique pour les grandes puissances régionales, notamment le Nigeria et la Côte d’Ivoire, dont l’influence pourrait être affaiblie face à la montée d’acteurs comme la Russie et la Chine, qui se rapprochent de l’Alliance des États du Sahel (AES). Ainsi, la CEDEAO lutte pour préserver son unité et son poids géopolitique, consciente que son incapacité à ramener ces pays en son sein pourrait entraîner un déclin progressif de son rôle en Afrique de l’Ouest.
Une CEDEAO affaiblie et contestée
Cette crise révèle des failles profondes dans la gouvernance de la CEDEAO. Perçue comme un instrument des grandes puissances régionales et étrangères, l’organisation est critiquée pour son manque de neutralité dans la gestion des crises politiques. Les sanctions imposées aux régimes sahéliens ont renforcé leur défiance et précipité leur départ.
De plus, l’incapacité de la CEDEAO à contrer efficacement l’expansion des groupes armés dans le Sahel a alimenté le sentiment d’abandon des populations locales. Face à ces limites, d’autres États pourraient être tentés de suivre le même chemin, notamment le Togo, dont le ministre des Affaires étrangères, Robert Dussey, a évoqué, lors d’une interview diffusée le 16 janvier 2025 sur Voxafrica, la possibilité d’une adhésion à l’Alliance des États du Sahel (AES). Une telle évolution fragiliserait encore davantage l’organisation et accélérerait la fragmentation de l’Afrique de l’Ouest.
Un tournant historique pour l’Afrique de l’Ouest
Le départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger n’est pas qu’une crise passagère : c’est une rupture définitive qui redéfinit les équilibres en Afrique de l’Ouest. La CEDEAO, affaiblie et contestée, doit désormais choisir entre une profonde transformation ou une perte progressive de sa pertinence.
John Dramani Mahama pourra-t-il inverser la tendance malgré l’intransigeance de l’AES ? Rien n’est moins sûr. Ce qui est certain, c’est que l’Afrique de l’Ouest entre dans une nouvelle ère où les anciennes certitudes volent en éclats.
Ibrahim K. Djitteye
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