Dans son rapport 2024, l’ITIE dresse un tableau contrasté de la gouvernance extractive au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Si les trois piliers de l’AES manifestent des volontés affirmées de souveraineté, les failles restent béantes : flux illicites massifs, divulgations faibles, société civile marginalisée. Pourtant, une dynamique s’enclenche — celle d’un contrôle stratégique du sous-sol au service d’un nouvel ordre sahélien.
À l’heure où l’Alliance des États du Sahel (AES) redéfinit les rapports de force régionaux, une autre bataille se joue plus discrètement. Celle de la gouvernance des ressources naturelles. Dans son rapport 2024, l’ITIE (Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives) livre un état des lieux éclairant — parfois inquiétant — de la transparence minière au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Trois pays à haute intensité aurifère, qui cherchent à transformer leur sous-sol en levier de souveraineté.
Au Mali, des progrès sous contrainte
Avec 67 points au processus de validation, le Mali fait bonne figure — sur le papier. Le rapport salue des avancées dans la divulgation des revenus et des contrats. Mais il souligne aussi des failles persistantes : engagement faible de la société civile, gouvernance du processus ITIE affaiblie par la transition politique, et un taux de publication systématique des données plafonnant à 4 % seulement, l’un des plus bas du classement mondial.
Pourtant, l’enjeu est crucial. Dans un pays où l’or représente près de 80 % des exportations, la gestion de la rente minière n’est pas un détail budgétaire — c’est un choix de modèle économique. La question est simple : qui bénéficie de la richesse aurifère ? Et surtout, qui la contrôle ?
Burkina Faso, la traque aux flux illicites
Là, le ton est plus direct. Le rapport ITIE 2024 révèle que le pays a identifié 39 cas de fraude liés au commerce de l’or, avec la saisie de faux lingots pour une valeur de plus de 15 millions de dollars. Mais le plus vertigineux reste cette estimation : 4,93 milliards de dollars de flux financiers illicites dans le secteur minier entre 2012 et 2021, soit plus de 2 700 milliards de francs CFA évaporés. L’or, qui représente 61 % de ces pertes, apparaît ici non pas comme une richesse, mais comme un gouffre fiscal.
Le mérite de Ouagadougou est de ne pas fuir la réalité. Grâce à l’ITIE, des audits sont en cours, des cartographies de la fraude sont élaborées, et des mesures commencent à être prises. C’est la transparence comme outil de reconquête économique, dans un pays où les recettes minières pourraient — devraient — financer les écoles, les centres de santé, les routes rurales.
Niger, le grand absent qui pèse lourd
Peu cité dans les détails du rapport, le Niger n’en reste pas moins un acteur stratégique. Avec ses réserves d’uranium et son potentiel pétrolier, le pays est un terrain d’enjeux géopolitiques autant qu’un cas d’école de gestion extractive. Les données disponibles montrent un faible taux de divulgation systématique (13 %) et un processus ITIE peu visible depuis la rupture institutionnelle de 2023. Pourtant, l’enjeu est immense : comment bâtir une économie post-CFA et post-CEDEAO sans maîtrise absolue des ressources ?
Ce que le rapport ITIE 2024 dit entre les lignes, c’est que le triptyque Mali–Burkina–Niger, au-delà de ses choix politiques communs, partage un même défi structurel — celui de faire de ses ressources un levier d’indépendance réelle.
Dans un contexte où les partenaires traditionnels se crispent, la transparence n’est plus un simple critère de bonne gouvernance, mais un outil de négociation internationale, un argument face aux investisseurs, une arme contre les prédations internes. Elle permet aux États de savoir ce qu’ils possèdent, à la société civile de savoir ce qu’on lui doit, et aux citoyens de savoir où va l’argent.
Il ne s’agit plus seulement de publier des chiffres, mais de reprendre la main sur le récit économique. Et dans ce récit, le Mali, le Burkina et le Niger ne veulent plus être des figurants — ils veulent écrire le scénario.
A.D
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