L’histoire de la relation entre la France et l’Afrique est celle d’un cycle perpétuel de refondations annoncées et d’occasions manquées. Depuis 2017, la volonté affichée par l’Élysée de redéfinir cette relation a pris plusieurs formes : diversification des partenariats, mise en avant des sociétés civiles africaines, restitution du patrimoine culturel, appui à l’entrepreneuriat, et promotion des droits humains. Pourtant, le bilan reste mitigé, et la France voit son influence décliner au profit de nouveaux acteurs, notamment la Russie, la Chine, la Turquie et les pays du Golfe.
Les faits sont là. Les régimes du Sahel ont tourné la page française, chassant l’armée tricolore, dénonçant les accords de coopération et se tournant vers d’autres alliés, plus pragmatiques, moins donneurs de leçons. L’onde de choc dépasse le Sahel : Dakar prend ses distances, Abidjan temporise, et Alger verrouille ses positions.
Ce constat est au cœur du rapport d’information n° 288 du Sénat, intitulé « Voir l’Afrique dans tous ses États », présenté par trois sénateurs français, Ronan Le Gleut (LR), Marie-Arlette Carlotti (groupe socialiste, écologiste et républicain) et François Bonneau (Union Centriste). Ce document met en lumière les paradoxes de la stratégie française sur le continent : une diplomatie verticale, perçue comme arrogante, une présence militaire de plus en plus contestée, et une coopération économique freinée par une perte de confiance. Il s’agit donc de repenser le logiciel français en Afrique, en intégrant une réalité simple : « le continent a changé plus vite que la politique africaine de la France ».
Un agenda transformationnel inabouti
La France a cherché ces dernières années à rompre avec les pratiques héritées de la « Françafrique » en mettant l’accent sur des secteurs non militaires, tels que la culture, l’innovation et l’entrepreneuriat. Une approche qui aurait pu porter ses fruits, mais qui a été rattrapée par des maladresses diplomatiques, des initiatives mal perçues et une lenteur d’exécution qui ont sapé la crédibilité de Paris.
Ainsi, malgré la volonté affichée de rapprocher les sociétés civiles, les actions menées ont souvent donné l’impression d’un paternalisme renouvelé. La restitution des œuvres d’art spoliées a avancé à pas comptés, laissant aux autres pays européens le soin de prendre les devants. L’approche dite « 3D » (Diplomatie, Défense, Développement), censée intégrer une réponse globale aux crises sahéliennes, a échoué à stabiliser durablement la région.
Sur le plan politique, les relations avec l’Algérie se sont envenimées, celles avec les États du Sahel ont viré à l’affrontement, tandis que les nouveaux partenaires anglophones (Nigéria, Kenya, Ghana) n’ont pas été la manne économique espérée.
La grande désillusion sécuritaire
L’un des constats les plus cinglants des sénateurs est l’échec de la stratégie militaire française en Afrique. L’opération Barkhane, déployée pendant huit ans pour lutter contre le terrorisme au Sahel, s’est soldée par un retrait précipité des forces françaises sous la pression des nouveaux régimes de Bamako, Ouagadougou et Niamey. « L’approche trop focalisée sur la menace terroriste a négligé les dynamiques locales : marginalisation des populations, conflits ethniques, fragilité des États », note le rapport.
Plus grave encore, le départ des troupes françaises n’a pas été compensé par une diplomatie efficace, laissant le champ libre à d’autres partenaires plus respecteuux, selon ses États, de leur souveraineté, et aux réseaux terroristes qui s’étendent désormais vers le Golfe de Guinée.
Pendant ce temps, la réduction des bases militaires françaises en Afrique de l’Ouest s’est faite « dans la confusion et sans réelle anticipation ». À Dakar, à N’Djamena et à Abidjan, les autorités locales ont progressivement pris leurs distances avec Paris, poussant la France à une réduction forcée de son empreinte militaire.
La montée des compétiteurs stratégiques
Le recul français en Afrique ne signifie pas une prise d’indépendance totale des États africains, mais plutôt un changement d’alliances. Les nouveaux acteurs économiques et sécuritaires du continent ne sont plus ceux de l’après-guerre froide. « La Russie […] se positionne comme un allié militaire des régimes en rupture avec l’Occident », analysent les sénateurs.
Pendant ce temps, « la Chine, premier créancier du continent, avance par le biais d’investissements massifs et de contrats d’infrastructure ». À cela s’ajoutent les Émirats arabes unis et la Turquie, qui jouent la carte de la coopération militaire et économique, tandis que l’Inde et le Brésil s’invitent dans le jeu commercial.
Face à cette recomposition, la France peine à trouver une posture adaptée : « Faut-il rivaliser avec ces nouveaux acteurs ou bien s’engager dans une coopération plus équilibrée, moins marquée par l’héritage colonial ? »
Quel avenir pour la relation France-Afrique ?
Le rapport sénatorial insiste sur plusieurs pistes pour redresser la situation :
✅ « Passer d’une approche globale à une approche bilatérale », en traitant chaque pays africain selon ses spécificités.
✅ « Développer une diplomatie plus horizontale », moins centralisée autour de l’Élysée.
✅ « Renforcer la coopération économique et universitaire », en mettant l’accent sur la jeunesse africaine.
✅ « Défendre une politique migratoire plus cohérente », évitant les restrictions brutales sur les visas qui alimentent le ressentiment.
✅ « Ne pas se désintéresser du Sahel », mais y revenir avec une approche plus humble et concertée.
La France a encore des atouts en Afrique : un réseau diplomatique dense, des entreprises dynamiques, une influence culturelle forte. Mais ces atouts ne suffiront pas si la perception négative de Paris ne change pas.
« Dans un monde multipolaire, l’Afrique n’attend plus de “modèle” à suivre : elle choisit ses partenaires en fonction de ses intérêts. La France doit en prendre acte et apprendre à composer avec cette nouvelle donne. »
A.D
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