Soumaïla Cissé, chef de file de l’opposition malienne est mort subitement ce vendredi 25 décembre — ironie du sort, le jour où le Christ est né ! – à Paris.
Avant cette date fatidique, l’homme politique malien avait vécu plus de six mois de captivité, pris en otage qu’il était par les forces djihadistes opérant dans le nord du pays. Ses amis, dont je suis, avaient alors craint le pire. Mais non, ironie du sort encore une fois, ce ne sont pas les mitraillettes des barbus de Kidal et de Gao qui ont eu raison de lui mais ce misérable virus nommé Covid-19 qui lui, a pris l’humanité entière en otage voilà bientôt un an et plus.
Le Mali est en deuil, moi aussi. Soumaïla cissé laisse un grand vide dans le cœur de ses proches et dans celui de son pays meurtri par la bêtise de quelques-uns de ses fils.
Cette mort est brutale, insensée, inadmissible. Je suis sous le choc.
C’est en 1969, à Dakar, au domicile Ibrahima Baldé dit Ibé, le directeur de la clinique Mère et Enfant de Kipé que pour la première fois j’ai rencontré Soumaïla Cissé. Il était alors un jeune et brillant étudiant en Math-Physique (MP). Des décades plus tard, nos chemins se croiseront de nouveau en 2010, à Ouagadougou cette fois, où il occupait le poste de directeur de l’UEMOA (Union Economique et Monétaire de l’Ouest Africain). C’est d’ailleurs dans cette fonction qu’il profitera de nos retrouvailles pour cofinancer légalement ma pièce’ de théâtre intitulée La Tribu des Gonzesses, pièce que notre regretté Souleymane Koly comptait monter à Bamako.
Depuis, nous avions renoué le contact et maintenu les liens jusqu’à ce vendredi noir de cette année horrible (annus horibilis, disait naguère, la reine Elisabeth II) qui ne m’aura décidément rien épargné de ses fléaux : deuils familiaux, mais aussi deuils nationaux (fraude électorale, répression sanglante : beaucoup de mes amis kidnappés, arrêtés ou morts en prison). De passage à Dakar, il m’avait donné de ses nouvelles il y a trois semaines par l’intermédiaire d’une amie commune.
C’est malheureux, Soumaïla Cissé s’en va alors qu’il s’était imposé comme l’homme de la situation dans ce Mali qui n’en finit pas de s’enfoncer dans la mouise. Si le sort en avait décidé autrement, il serait devenu naturellement le prochain président de son pays. Objectivement, plus rien ne pouvait l’empêcher. Un large consensus national avait fini par se nouer autour de lui après la chute d’IBK et l’irruption des militaires. Et il est évident que cet homme tout en finesse, ce cadre de haut niveau professionnel et moral aurait réussi à engager un dialogue inclusif, un dialogue constructif visant à arrêter la guerre civile, à empêcher le démembrement du pays. Pour ma part, j’ai toujours considéré que Tiébilé Dramé et lui sont et de loin, les hommes les plus intelligents du landerneau politique malien.
La Guinée et le Mali ont beaucoup de points communs. Mais leur position géographique les différencie notoirement. Pays multiconfessionnel, multiracial et multiethnique, situé à la charnière du Maghreb et de l’Afrique noire, le Mali jouit d’une configuration plus complexe, plus difficile à gérer.
Par chance, leurs dirigeants sont plus avisés que les nôtres. On n’a jamais vu dirigeant malien diviser les Maliens. Au temps de Modibo Keïta, il régnait dans ce pays une véritable tendresse intertribale. Même Moussa Traoré n’est pas tombé dans le travers tribaliste où sont tombés Sékou Touré, Lansana Conté et Alpha Condé.
Voici ce que me racontait le journaliste Siradiou Diallo au début des années 80 : « Quand Sékou Touré a déclaré la guerre aux Peuls, Moussa Traoré était au bord des larmes ». Par dépit, il m’a invité au Mali comme si j’étais un chef d’Etat. « Est-il devenu fou, me dit-il. A cause de lui, même nous, on va avoir des problèmes ici ».
Repose en paix, Soumaïla. Les problèmes du Mali sont bien plus graves que les nôtres. Mais avec les dirigeants que vous avez, c’est évident que vous verrez le bout du tunnel bien avant nous.
Comme le disent les caravaniers, « quand le guide est mauvais, tout est mauvais ».
Tierno Monénembo
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