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Fin du 2ème collège à Bamako : ce qu’il faut retenir de l’intervention des dirigeants de l’AES 

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Réunis à Bamako les 22 et 23 décembre 2025 pour la 2ème session ordinaire du Collège des chefs d’État de la confédération des États du Sahel (AES), après la 1ère à Niamey le 6 juillet 2024, le général Assimi Goïta, le capitaine Ibrahim Traoré et le général Abdourahamane Tiani ont livré trois visions complémentaires de leur projet confédéral. Ces trois chefs d’Etat sont unis dans le but de bâtir une souveraineté sahélienne affranchie des tutelles extérieures. 

Au centre international de conférence de Bamako (CICB) a eu lieu, les 22 et 23 décembre 2025, la 2ème session ordinaire du Collège des chefs d’État de l’Alliance des États du Sahel (AES), créée en septembre 2023, et devenue depuis juillet 2024 une confédération politique et militaire regroupant le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Devant de nombreux diplomates, responsables militaires et représentants de la société civile, les trois présidents sahéliens ont livré trois discours à la fois complémentaires et révélateurs de la vision politique qu’ils incarnent, à savoir la rupture assumée avec l’ordre régional hérité, en vue d’une souveraineté retrouvée.

D’abord, un bilan en forme de manifeste confédéral

Ouvrant cette 2ème session au CICB, le 23 décembre, le général d’Armée Assimi Goïta, président sortant de la Confédération, a dressé le bilan de sa présidence, qui a duré plus d’une année à la tête de l’AES. Dans une salle comblée de joie et parée des couleurs de l’AES, du Mali, du Niger et du Burkina Faso, le président Goïta a évoqué une « nouvelle ère » dans la construction politique du Sahel.

« Depuis la création de l’AES, nous avons posé les fondations d’une coopération solide et intégrée entre nos trois États. Cette confédération est devenue une réalité politique, diplomatique et géopolitique incontournable », a-t-il déclaré, avant d’annoncer la création et l’inauguration de certains organes communs, dont la Banque confédérale d’investissement et de développement (BCID-AES), la Force Unifiée (FU-AES), la chaîne de télévision AES.

Le président malien de la transition a également souligné le « redressement moral » qu’incarne le projet confédéral, face à des institutions régionales qui ont « trahi les peuples au profit d’agendas extérieurs ». En filigrane, tout observateur averti verrait une critique à peine voilée de la CEDEAO et des nombreuses forces d’occupation étrangères qui existaient dans la zone des trois frontières sans pour autant qu’il y ait les résultats escomptés, au bout du compte.  Il s’agit donc d’une dénonciation de leur incapacité à résoudre les crises politiques et sécuritaires qui ont secoué la sous-région.

Son discours, mesuré mais ferme, a pris les contours de l’acte fondateur d’un État sahélien qui assume désormais sa trajectoire autonome, sans aucune ingérence étrangère. Cette volonté d’autarcie politique et économique voire sécuritaire se voit aisément à travers des initiatives salvatrices comme la création de la BCID-AES (une banque qui financera les projets structurants des pays membres), de la Force unifiée voire de la Télévision AES. Le général Goïta a conclu sa déclaration en passant le flambeau de la présidence tournante au capitaine Ibrahim Traoré. Avant de finir, il a salué « l’esprit de combat et de clarté » du homologue burkinabè.

Ensuite, la ferveur d’un discours révolutionnaire

Le nouveau président du Collège des chefs d’État, le capitaine Ibrahim Traoré, a pris la parole dans un style tout autre, voire peu officiel. Il a transformé la salle en tribune aux accents de manifeste révolutionnaire. Fidèle à sa rhétorique directe et sans fioritures, généralement sans éléments de langage sous la main, le capitaine burkinabè a enflammé la salle par son discours habité, ponctué de la volonté  de « libération des consciences africaines » afin que règne désormais une pleine souveraineté sur le continent longtemps victime d’agendas obscurs aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur.

Son intervention, longuement applaudie dans la salle parce que s’adressant directement au peuple dans un langage peu diplomatique mais direct, a sonné comme un appel à la radicalité politique et à la rupture historique. Il a dénoncé « le colonialisme économique », le « colonialisme mental » ainsi que le « colonialisme politique et sécuritaire » incarné par la dépendance monétaire, la complaisance face à l’occident, et les accords de défense hérités des puissances extérieures ou l’ingérence dans les politiques intérieures des Etats. Il a  réaffirmant que l’AES devait devenir « le premier noyau d’une Afrique souveraine ».

« L’histoire retiendra que dans le Sahel, les peuples ont choisi de se lever », a-t-il poursuivi, promettant de « faire du Burkina, du Mali et du Niger, les laboratoires d’un nouvel humanisme africain ».

La déclaration du nouveau président de l’AES a confirmé l’orientation idéologique de la Confédération : celle d’une révolution institutionnelle où la souveraineté, la jeunesse et la résistance deviennent les maîtres-mots d’une refondation politique assumée.

Le rappel historique et la mémoire des luttes

Moins lyrique mais profondément ancré dans la mémoire politique du Sahel, le général Abdourahamane Tiani, président du Niger, a calqué son discours sur le rappel historique des contextes de création de l’AES. Son intervention fut celui d’un pédagogue et d’un témoin, qui retrace les luttes et les erreurs du passé pour justifier la voie nouvelle ouverte par l’AES.

« Nos peuples ont trop souvent été les spectateurs de leur propre destin. Nous avons connu les promesses de l’indépendance, puis la dépendance économique, puis les ingérences sous le masque de la coopération », a-t-il rappelé, évoquant la Fédération du Mali (1959-1960) et sa dissolution comme un « avertissement de l’histoire ». Pour le général Tiani, la Confédération AES tire précisément sa force de cette mémoire : « Là où nos aînés ont échoué à cause de la division, nous réussirons par la solidarité et la lucidité. »

Le chef d’État nigérien a également mis en avant la dimension stratégique du projet commun : sécurité partagée, formation militaire intégrée, et coordination diplomatique face aux crises régionales. « L’AES n’est pas une alliance contre quelqu’un, mais une alliance pour quelque chose : la survie et la dignité du Sahel », a-t-il insisté.

Trois discours, une seule matrice 

En écoutant les trois dirigeants, tout analyste neutre ou objectif aura compris la complémentarité d’un triptyque discursif. Le général Goïta pour la continuité et la structuration, le capitaine Traoré pour la ferveur révolutionnaire, et le général Tiani pour la profondeur historique. Ces trois chefs d’Etat esquissent ainsi une matrice politique commune, où la souveraineté n’est plus un slogan mais une méthode de gouvernement.

Au-delà des effets de tribune, la session de Bamako a surtout acté le basculement d’une région longtemps considérée comme périphérique, qui entend désormais devenir centre de décision et de production politique en Afrique.

L’AES, qui bénéficie depuis un certain temps d’une reconnaissance internationale, reste encore confrontée à certains défis comme toute nation désireuse d’une pleine et entière souveraineté — économiques, sécuritaires et institutionnels. Mais les mots des trois chefs d’État laissent entrevoir un horizon que leurs prédécesseurs avaient cessé d’imaginer : celui d’une unité sahélienne fondée sur la conviction que la souveraineté se conquiert, elle ne se délègue pas.

A.D


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