Au Mali, les femmes ont été les héroïnes oubliées de la démocratie. Actrices de la contestation en 1991, elles restent en 2025 cantonnées aux marges du pouvoir, alors que les partis politiques luttent pour leur propre survie.
Elles furent aux avant-postes de l’histoire, elles restent reléguées dans les marges du pouvoir. Depuis la chute de la dictature en 1991, les femmes maliennes n’ont cessé de porter haut la flamme démocratique, participant activement aux mouvements de contestation, à l’émergence des médias d’opposition et à la conquête des libertés politiques. Pourtant, plus de trois décennies plus tard, leur place dans la vie politique malienne demeure paradoxalement périphérique, réduite bien souvent au rôle d’un simple « bétail de vote ».
La cruelle instrumentalisation électorale
En 1991, sur les pavés chauds de Bamako, les femmes étaient là, en premières lignes, réclamant un Mali plus juste, plus libre. À l’instar d’Aoua Kéita, pionnière du combat politique, elles rêvaient d’un futur où la citoyenneté ne se conjuguerait plus au masculin. Mais la réalité politique a trahi ces espérances. Trop souvent cantonnées à des rôles de soutien, mobilisées pour des campagnes électorales mais peu sollicitées pour élaborer des projets de société, les femmes restent absentes des hautes sphères de décision.
À chaque échéance électorale, la scène est connue : défilés, chants, parures aux couleurs des partis. Les femmes sont convoquées en masse pour voter, mais rarement pour débattre, encore moins pour décider. Loin d’être considérées comme des actrices politiques à part entière, elles sont majoritairement perçues comme un réservoir électoral, instrumentalisé puis vite oublié une fois les urnes refermées.
Un défi d’autant plus aigu en pleine tempête politique
Aujourd’hui, alors que les partis politiques maliens, autrefois si peu enclins à promouvoir l’inclusion sociale, s’insurgent contre une révision de la charte des partis — une réforme qui pourrait déboucher sur leur dissolution pure et simple — la question de la représentativité en leur sein mérite d’être posée avec acuité.
Ces formations, vent debout contre le processus de consultation nationale lancé par le gouvernement en avril 2025, revendiquent leur légitimité démocratique. Mais quelle démocratie défendent-elles si, en leur sein même, les femmes — tout comme d’autres catégories marginalisées — continuent de n’être qu’un décor de façade ?
Obstacles persistants et résistances culturelles
À cette marginalisation historique s’ajoutent des obstacles structurels profonds.
Les stéréotypes de genre, les contraintes financières, les violences politiques ciblées et l’étroitesse des réseaux d’influence masculins verrouillent l’accès des femmes aux postes de décision.
Même la loi de 2015, imposant un quota de 30 % de femmes dans les fonctions électives, n’a guère permis d’inverser véritablement la donne. La représentation féminine reste largement symbolique.
Grâce à l’engagement de certaines organisations nationales et internationales, des progrès, certes timides, ont été réalisés. Avec près de 27 % de femmes élues aux législatives de 2020 et une meilleure visibilité dans les conseils communaux, des brèches ont été ouvertes. Mais ces percées restent fragiles et ponctuelles.
L’essentiel du pouvoir — celui qui écrit les lois, décide des budgets, trace les grandes orientations — échappe encore à l’influence féminine.
Pour une démocratie réellement inclusive
La question est désormais claire : comment prétendre défendre la démocratie si l’on continue d’en exclure la moitié de la population ?
Dans un Mali où les crises sécuritaires et politiques s’accumulent, renforcer la place des femmes n’est pas une option morale ou cosmétique. C’est une nécessité stratégique pour la refondation de l’État.
Si la classe politique malienne veut survivre et se régénérer, elle devra commencer par écouter celles qui, hier encore, étaient prêtes à mourir pour que naisse la démocratie.
A.D
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