Alors que l’Afrique de l’Ouest se libère peu à peu de ses liens avec l’ancien colonisateur, Alassane Ouattara, lui, continue de renforcer ses attaches avec la France. Ses séjours privés réguliers à Paris, loin des préoccupations de ses homologues africains en quête de souveraineté, interrogent. Faut-il voir dans ce choix une nostalgie ou un refus d’emboîter le pas vers une Afrique plus indépendante ?
Le monde change. L’Afrique de l’Ouest, en particulier, vit une période de bouleversements profonds où le rêve de souveraineté, longtemps enfoui sous des décennies de partenariats inégaux, refait surface avec une ferveur inédite. Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad, même le Sénégal : des nations entières affirment leur désir de tracer une route loin des griffes de l’ancien colonisateur. Les peuples redécouvrent la fierté de se tenir debout, de se construire sans demander l’approbation des anciens maîtres. Et au milieu de cette quête, dans cette Afrique en ébullition, il y a Alassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire, qui, sans faillir, continue de réserver ses séjours dans les salons feutrés de la France.
Une résidence de prestige en plein Paris
Pourquoi cet attachement, ce besoin quasi obsessionnel de se retrouver à Paris ? Alassane Ouattara, à contre-courant, semble ignorer la vague de révolte qui émerge tout autour de lui. Pour un président ivoirien, dont les responsabilités dépassent de loin le simple rôle de gouvernance nationale, ces escapades répétées interrogent. Il n’est plus question de simples visites de courtoisie ou de rencontres diplomatiques d’usage ; il s’agit là de véritables pèlerinages, presque des vacances de luxe, à Mougins ou dans un hôtel particulier cossu du 16e arrondissement de Paris, appartenant — faut-il le rappeler — à l’État ivoirien. Ce dernier symbole pourrait presque paraître ironique, si le contexte n’était pas aussi sérieux : la Côte d’Ivoire finance une résidence de prestige en plein Paris pour son président, dans la capitale même de l’ancienne puissance coloniale.
Pendant que ses homologues préfèrent braver les défis en Afrique, Alassane Ouattara multiplie les allers-retours vers la France. Là où ses voisins ouest-africains explorent la possibilité d’alliances plus équilibrées et cherchent à redéfinir leur souveraineté, Ouattara apparaît comme un vestige de l’ancien ordre, figé dans une relation de dépendance dépassée, voire gênante. Est-il vraiment possible, aujourd’hui, de gouverner un pays comme la Côte d’Ivoire en restant autant attaché aux privilèges et aux réseaux d’influence parisiens ? En voyant le chef de l’État ivoirien faire la navette entre Abidjan et Paris, sans même un rendez-vous officiel avec Emmanuel Macron, le doute est permis.
Rencontre avec Nicolas Sarkozy
À la marge du sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), début octobre à Villers-Cotterêts, un autre épisode révélateur a eu lieu. Alassane Ouattara a rencontré son vieil ami, Nicolas Sarkozy, ancien président de la France, avec qui il entretient une amitié de plus de trente ans. Cette entrevue, qui s’est déroulée dans la résidence présidentielle du 16e arrondissement de Paris, a été l’occasion pour les deux hommes d’échanger non pas sur les défis colossaux qui attendent la Côte d’Ivoire, mais sur l’actualité politique française et les rouages internes du gouvernement Macron. Il semble que l’ancien président français, aujourd’hui homme de l’ombre de la politique hexagonale, ait plus d’influence sur les réflexions du président ivoirien que les aspirations de son propre peuple.
En août dernier déjà, Ouattara et Sarkozy avaient partagé un déjeuner en famille dans la résidence des Ouattara à Mougins, dans le sud de la France, où l’ombre de l’influence française semble s’épaisser.
Un parcours politique et personnel lié aux cercles d’influence parisiens
Les exemples voisins illustrent une toute autre volonté. Le Mali a choisi, au prix fort, de rompre ses liens militaires avec la France, d’expulser les troupes étrangères, et d’assumer une position de fermeté sans compromis. Le Burkina Faso et le Niger n’ont pas hésité à suivre la même voie. Même au Sénégal, où l’attachement à l’ancien colonisateur reste solidement ancré dans certains milieux, on commence à entendre des voix appelant à une révision des accords. En comparaison, Alassane Ouattara donne l’impression d’un homme nostalgique d’une époque révolue, incapable de s’adapter à une Afrique en pleine redéfinition de son identité et de ses alliances.
Certains diront qu’il ne s’agit là que de relations personnelles, de vacances bien méritées après des années de service. Mais il ne faut pas oublier que chaque déplacement d’un président n’est jamais anodin ; il envoie un signal, il parle autant aux partenaires étrangers qu’à ses propres citoyens. Ces séjours réguliers en France projettent une image qui contraste avec l’air du temps. Ouattara donne le sentiment de ne pas vouloir se détacher de la France, comme si son parcours politique et personnel était lié de façon irrévocable aux cercles d’influence parisiens.
Les réceptions luxueuses et les dîners parisiens au détriment de nouvelles alliances
Le chef de l’État ivoirien a beau rappeler qu’il est au service de la Côte d’Ivoire, cette fidélité affichée à l’égard de la France suscite des interrogations légitimes. Comment peut-on prétendre incarner la souveraineté d’un pays africain tout en entretenant des attaches aussi étroites avec l’ancien colonisateur ? Si Alassane Ouattara pense encore que la France représente la solution à tous les défis de la Côte d’Ivoire, il se trompe lourdement. La Côte d’Ivoire mérite un leadership tourné vers l’avenir, qui ose s’émanciper des habitudes d’antan, et qui considère la France comme un partenaire parmi d’autres, non comme une tutelle implicite.
La situation devient d’autant plus flagrante que d’autres pays se dirigent vers des modèles de coopération diversifiés. De plus en plus, les États africains bâtissent des relations fondées sur le respect mutuel, non sur l’héritage colonial. L’Algérie et la Russie, bien que controversés, apparaissent comme des alternatives pour nombre de gouvernements en quête de partenariats égalitaires. La Chine, la Turquie et même certains pays d’Asie centrale sont courtisés, alors que l’Europe occidentale, et surtout la France, voit son influence s’éroder. C’est dans ce contexte que Ouattara persiste et signe, préférant les réceptions luxueuses et les dîners parisiens au renouvèlement des alliances.
Le signe d’une dépendance embarrassante
Le peuple ivoirien, lui, observe. Cette Côte d’Ivoire, autrefois modèle économique et social en Afrique de l’Ouest, est en train de voir ses propres repères changer. Alors que les citoyens attendent des réponses concrètes à des problèmes pressants, leur président multiplie les séjours privés en Europe. À une époque où les jeunes générations se battent pour une Afrique forte, indépendante, Alassane Ouattara campe sur des réflexes d’une autre ère, incapable de comprendre que les temps ont changé. Ses voyages ne font que souligner son décalage avec les aspirations de son peuple et celles de la région.
Et puis, il y a l’aspect financier. Combien coûtent ces allers-retours constants ? Quid de la rénovation de cette résidence dans le 16e arrondissement, financée par l’État ivoirien ? Cet hôtel particulier pourrait être un symbole de succès et d’influence, mais il est devenu le signe d’une dépendance embarrassante. La jeunesse ivoirienne, elle, se demande sans doute pourquoi de telles ressources sont consacrées à des biens en France, quand des investissements seraient bienvenus pour l’éducation, la santé et le développement dans le pays.
Le vent de la souveraineté africaine pourrait bien lui passer sous le nez
En choisissant d’entretenir ces liens avec Paris, Ouattara semble s’éloigner du mouvement panafricain et souverainiste qui prend forme autour de lui. Peut-être est-ce une question d’habitude, peut-être est-ce un choix délibéré de rester fidèle à ceux qui l’ont aidé à accéder au pouvoir. Mais cette posture le coupe inévitablement de l’air du temps, de cet élan d’affirmation qui pousse aujourd’hui tant de nations africaines à rompre avec des rapports déséquilibrés.
La Côte d’Ivoire mérite plus qu’un président tourné vers le passé, elle mérite un leader capable de capter l’esprit de son époque, de comprendre les aspirations de ses voisins et de placer l’intérêt de son pays avant tout. L’avenir du pays ne se trouve pas dans les salons parisiens, mais dans les réalités quotidiennes de ses citoyens, dans la détermination à bâtir une nation indépendante et prospère.
Il est peut-être temps pour Alassane Ouattara de redéfinir ses priorités, de réaliser que les époques changent et que l’Afrique, y compris la Côte d’Ivoire, doit penser en termes de dignité et de fierté retrouvées. Car pendant qu’il s’attarde dans le confort de ses résidences en France, le monde avance sans lui, et le vent de la souveraineté africaine pourrait bien lui passer sous le nez.
Alassane Diarra
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