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Enquête — Sécheresse 2024-2025 : dans les campagnes maliennes, la revanche des terroirs

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Alors que le ciel se ferme, que les nuages désertent les savanes, les campagnes maliennes, elles, s’organisent. Dans un pays faisant face à de longues périodes de sécheresse, l’espoir renaît des sillons. Moisson d’adaptation dans un Sahel en surchauffe.

Il est des silences plus éloquents que les cris. Celui qui plane, asséché, sur les terres de Koula ou de Ménaka n’est pas celui d’un abandon, mais d’une métamorphose. La sécheresse, qui ravage le Mali rural en cette année 2024-2025, aurait pu signifier la fin. Elle devient le commencement d’autre chose. D’une nouvelle grammaire agraire, où l’on conjugue résilience, innovation et transmission.

Le thermomètre s’affole, mais la terre pense.

Depuis plusieurs mois, les chiffres font frémir : +1,5 °C au-dessus des moyennes globales, des précipitations en chute libre, des événements extrêmes de plus en plus fréquents. Le nord-est du pays, de Ménaka à Gao, revit les cauchemars de 1984, mais cette fois, les villages ne se contentent pas de survivre. Ils inventent.

À Koula, dans la région de Ségou, l’agriculture n’a plus rien de rudimentaire. Elle écoute la météo, elle scrute les sols, elle lit les données. Les paysans sèment désormais des semences calibrées pour résister à l’aridité. Ils compostent, planifient, récupèrent. Surtout, ils irriguent… mais avec parcimonie. Grâce à un projet combinant techniques agricoles et savoirs nucléaires, 500 petits exploitants, en majorité des femmes, ont vu leurs rendements croître de 37 %, tout en réduisant de 43 % leur consommation d’eau.

Le miracle a un nom : la science alliée à l’expérience. Et un symbole : le retour de la tomate. Culture abandonnée faute d’eau, elle renaît dans les champs transformés en serres. Elle est l’image de la reconquête.

Les nomades en sursis

Mais l’histoire n’est pas uniforme. Au nord, dans l’épure désolée de Ménaka, les éleveurs, eux, sont à l’os. Là où paissaient des milliers de têtes, seule une centaine de dromadaires et de moutons attendent sous un soleil vertical. Le bétail ne vaut plus rien : -30 % en moyenne, jusqu’à -50 % en période de soudure. Certains fuient. Vers le Niger, vers une herbe plus verte qui tarde à venir.

Le pastoralisme sahélien, pilier économique et culturel, vacille. « Nos troupeaux meurent, et avec eux notre mode de vie », souffle Arrab, berger peul du Liptako-Gourma. Un mode de vie ancestral, rongé par la sécheresse autant que par l’indifférence.

L’État, enfin stratège

Depuis 2021, l’État malien tente une riposte systémique avec son Plan national sécheresse. Objectif : anticiper, prévenir, répondre. Au cœur de ce plan, une conviction : seule une approche intégrée, mêlant météorologie, législation, genre et équité peut tenir tête à la nature déréglée.

Le réseau de « paysans-relais », équipé de radios et de thermomètres, transmet les données du terrain à la cellule météorologique nationale. Douze heures plus tard, les bulletins reviennent, convertis en consignes concrètes. C’est le nerf du dispositif : réconcilier l’État et le paysan par la circulation de l’information.

Pendant ce temps, les ONG creusent. Littéralement. L’association Forages Sahel, présente depuis 1983, a déjà équipé 160 000 villageois en accès à l’eau, grâce à 400 infrastructures hydrauliques, moins que le nombre de forages installés par le président de la transition, le général Assimi Goïta, entre 2021 et 2025. Au total, plus de 400 forages dans le cadre de ses œuvres sociales.  Ce n’est pas une goutte d’eau dans l’océan : c’est une révolution douce qui redessine le quotidien des villages.

Et à Koula, l’aide matérielle continue de faire la soudure. Sans elle, nombre de paysans auraient déserté leurs terres pour les villes.

Science, savoir et semences

La clé, c’est l’hybridation : entre savoirs traditionnels et sciences de pointe. À Koula, on utilise la mémoire des anciens pour lire les nuages, mais aussi les isotopes pour mesurer l’évapotranspiration. C’est cette double lecture du monde — ancestrale et moderne — qui sauve.

Et mieux encore : les paysans formés deviennent à leur tour des formateurs. Ils transmettent, adaptent, améliorent. L’innovation devient contagieuse. Le progrès, viral.

Le Mali, habitué à être cité comme terrain de crise, devient peut-être, paradoxalement, une matrice d’innovation. Un laboratoire sahélien. Bien sûr, les défis restent colossaux. L’élevage agonise dans certaines zones. Les migrations climatiques se multiplient. Les ressources de l’État sont limitées.

Mais dans le chaos climatique, il y a cette lumière obstinée : celle d’un pays qui refuse de céder. Le futur n’est pas à Bamako. Il est dans les champs silencieux de Koula. Dans les puits profonds de Ménaka. Dans la main calleuse du paysan qui, face au ciel muet, continue de semer.

Chiencoro Diarra 


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