En incinérant 128 tonnes de drogues saisies en une année, Bamako ne s’est pas contentée d’un simple geste symbolique. À l’occasion de la Journée internationale contre l’abus et le trafic de drogues, le Mali a voulu marquer les esprits et affirmer sa détermination à ne plus être l’un des maillons faibles du narco-corridor ouest-africain. Derrière la fumée des stupéfiants brûlés, c’est toute une stratégie de reconquête de souveraineté sécuritaire et sociale qui se dessine.
À l’initiative de l’Office central des stupéfiants (OCS), appuyé par le Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre de l’ONUDC (ROSEN), cette journée n’a pas été qu’un moment de communication institutionnelle. Le feu mis aux saisies spectaculaires — cocaïne, cannabis, héroïne, crack, tramadol, diazépam, produits pharmaceutiques contrefaits, protoxyde d’azote, chichas et arômes — a tenu de l’acte politique.
Entre juin 2024 et juin 2025, ce sont précisément 127,9 tonnes de produits prohibés qui ont été interceptées par les forces de sécurité maliennes — un chiffre inédit, reflet d’un volontarisme affiché mais aussi d’une réalité inquiétante : celle de la montée en puissance du Mali dans les corridors du trafic international.
Un pays carrefour, un pays cible
Car le Mali n’est pas seulement une victime, il est devenu, depuis une décennie, un point de transit stratégique pour les réseaux qui relient l’Amérique latine à l’Europe en passant par le Sahel. Ces flux toxiques s’imbriquent dans les fragilités structurelles du pays : porosité des frontières, zones d’instabilité chronique, corruption diffuse. Mais la donne est peut-être en train de changer.
Avec le soutien logistique et technique de l’ONU, l’OCS et ses partenaires — Police nationale, Gendarmerie, Douanes — semblent mieux armés pour répondre à l’ampleur du défi. L’arsenal juridique a été renforcé, des cellules régionales ont vu le jour, des opérations conjointes sont menées dans les grandes agglomérations comme dans les points de passage ruraux.
Une jeunesse ciblée, une société vulnérable
Le choix du 26 juin ne doit rien au hasard. En alignement avec les Nations unies, le Mali entend mettre en lumière les ravages sociaux causés par l’usage croissant de drogues dites « de rue ». Tramadol, crack, protoxyde d’azote — ces substances, parfois vendues en pharmacie ou en ligne, font des ravages parmi les jeunes urbains, proies faciles dans un contexte d’oisiveté, de chômage et de vulnérabilité psychologique.
Le trafic, quant à lui, s’est technicisé : réseaux sociaux, messageries cryptées, logistique low cost… Les narcotrafiquants se sont modernisés plus vite que certains services de l’État. Et c’est justement contre cette asymétrie que les autorités veulent se dresser.
Une guerre d’usure, mais pas impossible
Dans les discours, une constante : la volonté de ne plus subir. Dans les actes, une série de signaux faibles, mais cohérents. L’incinération de ce 26 juin n’est pas un aboutissement, c’est un marqueur. Il signifie que le Mali refuse d’être le ventre mou de la guerre contre la drogue en Afrique de l’Ouest. Il montre aussi que, dans l’ombre des grandes batailles diplomatiques et sécuritaires, un autre front s’est ouvert : celui de la souveraineté sociale et morale, dans un pays où la fragilité des jeunes est un enjeu de stabilité nationale.
A.D
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