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Dialogue national à Dakar : un exercice sans crise ou une crise sans issue ?

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Alors que les autorités sénégalaises affirment qu’aucune crise politique ne mine le pays, le dialogue national qui s’ouvre ce 28 mai à Dakar soulève une question de fond : exercice démocratique sincère ou rituel de façade pour masquer des tensions bien réelles ?

Au Sénégal, les traditions ont parfois des allures de scénarios bien huilés. Chaque fois que les tensions politiques prennent un tour trop aigu, qu’une tempête menace de noyer le fragile équilibre républicain, une même parade institutionnelle est convoquée : le dialogue national. Et chaque fois, le rituel s’exécute dans la grande salle feutrée du Centre international de conférence Abdou-Diouf, à Diamniadio, avec ses mots choisis, ses intentions proclamées, ses absents remarqués.

Le cru 2025 n’échappe pas à la règle. Officiellement, il ne s’agit pas de résoudre une crise — puisqu’il n’y en a pas, martèle Ousmane Sonko, Premier ministre en croisade contre « la politique politicienne ». Il s’agit, dit-on, de réformer le système électoral, de clarifier le rôle de l’opposition, de donner un sens plus transparent au financement des partis, de rationaliser le calendrier et, en toile de fond, de légitimer, par la forme, un pouvoir fraîchement installé mais déjà contesté.

Une table ronde aux contours flous

Autour de la table, pendant huit jours, un aréopage de personnalités politiques, syndicales, universitaires, religieuses, et une société civile en rangs dispersés. Il faut dire que l’agenda du dialogue semble plus voulu que vécu : ni l’APR, le parti de Macky Sall, ni ses figures les plus emblématiques – Barthélémy Dias, Aïssata Tall Sall, Thierno Alassane Sall – n’ont jugé utile de s’y asseoir. Ils dénoncent en chœur « un climat de chasse aux sorcières », dominé par les inculpations ciblées d’anciens ministres du régime précédent, avec en point d’orgue, l’arrestation du beau-frère de Macky Sall, Mansour Faye, 48 heures avant l’ouverture des travaux.

Une coïncidence judiciaire, diront certains. Un signal politique, murmureront les autres.

L’APR aux abonnés absents, le PDS de retour

Le paradoxe est là : ceux qui ont jadis incarné le pouvoir refusent le débat, pendant que ceux qui l’ont longtemps combattu, comme Khalifa Sall ou le PDS version Karim Wade, font acte de présence. Dans une démocratie où l’alternance ne fait plus débat, la conflictualité ne disparaît pas, elle se déplace — des urnes vers les tribunaux, des débats vers les boycotts.

Le gouvernement Diomaye Faye, qui veut incarner une « rupture », assure de son côté que ce dialogue est une initiative proactive, non une réponse à une crise. Mais comment ignorer que cette édition 2025 s’inscrit, une fois encore, dans une séquence de tensions politiques mal digérées ? 2023 : dialogue à la veille de la condamnation d’Ousmane Sonko. 2024 : dialogue au cœur de la polémique sur le report de la présidentielle. 2025 : dialogue au lendemain d’une vague d’inculpations de figures de l’ancien régime.

Sur le papier, les ambitions sont nobles : un fichier électoral plus juste, des partis mieux financés, une opposition mieux définie, une justice électorale plus indépendante. Dans les faits, le pays ne parvient pas à dégager un consensus de fond, ni même à éviter l’instrumentalisation des procédures. Une douzaine de milliers de contributions en ligne sur la plateforme Jubbanti — à l’échelle d’un pays de 17 millions d’habitants — donne la mesure de la distance entre l’inclusivité affichée et l’enthousiasme réel.

Le dialogue : outil démocratique ou rideau de scène ?

On peut voir dans ces assises une tentative sincère de rationaliser la vie politique, ou un mécanisme habile pour occuper l’espace, désamorcer les critiques, voire légitimer un pouvoir qui cherche ses marques. Dans un cas comme dans l’autre, le Sénégal, dont les transitions démocratiques ont jusqu’ici fait figure d’exemple sur le continent, semble aujourd’hui englué dans un entre-deux : celui d’un système électoral à bout de souffle et d’une classe politique toujours en guerre de légitimité.

Pendant ce temps, les urgences sociales – chômage, jeunesse désorientée, tension sur les prix – restent en suspens. Le dialogue national aura-t-il un écho dans le quotidien des Sénégalais ? Rien n’est moins sûr.

Un théâtre sans public ?

Si dialogue il y a, encore faut-il qu’il débouche sur des actes. Et surtout, qu’il ne soit pas l’alibi poli d’une régression démocratique maquillée en concertation ouverte. La démocratie sénégalaise, souvent célébrée pour sa maturité, donne ici un spectacle étrange : celui d’un théâtre sans public, où l’on parle de tout sauf de ce qui fâche vraiment.

Alors, le Sénégal a-t-il un problème politique ? Officiellement non. Mais ce déni, martelé à la une des journaux, est peut-être la meilleure preuve du contraire.

A.D


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