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Des rois-soleil aux « Blancs civilisateurs » : l’empire des intox

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Les fake news ne datent pas de X. Elles ont toujours existé : dans les mythes, dans les dogmes, dans les manuels scolaires. Du « Blanc civilisateur » au « Noir barbare », du roi-soleil représentant de Dieu à Christophe Colomb « découvreur » de l’Amérique, elles se sont incrustées dans les mémoires, depuis l’enfance, au point de devenir des vérités intouchables. Le numérique n’a fait qu’accélérer le mensonge. Le poison, lui, était déjà dans nos têtes.

On croit que les fake news sont nées avec Facebook. Erreur : elles ont l’âge de l’humanité. Elles sont cousines des mythes et sœurs jumelles des dogmes. Giordano Bruno a été brûlé vif pour avoir osé dire que la Terre tournait. Galilée a failli l’être. Louis XIV était, dit-on, le « roi soleil », reflet de Dieu sur terre. Et l’Afrique ? Pendant des siècles, elle n’a pas eu droit à l’histoire : simple décor, simple barbarie, simple absence. La fake news la plus vieille du monde, c’est peut-être celle-là.

Le mensonge comme pédagogie

Au Mali, les premières fake news se susurrent dès l’enfance : ne pas se laver au crépuscule, ne pas parler en mangeant, ne pas rester dehors après la tombée de la nuit. Inoffensives ? Non. Car déjà, elles enseignent que la vérité ne se cherche pas, elle s’impose.

À l’école, la manipulation prend une autre ampleur. Pendant des décennies, des générations entières ont appris que l’homme blanc était venu « civiliser » les « sauvages » africains. Que Christophe Colomb avait « découvert » l’Amérique, alors que d’autres récits parlent d’Aboubakar II. Que les Noirs n’avaient pas d’histoire, pas d’humanité, pas de culture. Une colonisation mentale aussi efficace que l’autre, et sans doute plus durable.

Il faudra les charniers de la Seconde Guerre mondiale pour que s’écroule le mythe de la « race aryenne ». Mais les dogmes, eux, restent. Dans nos manuels. Dans nos têtes. Dans nos réflexes.

Le numérique n’a rien inventé

Alors oui, aujourd’hui, on s’agite : réseaux sociaux, WhatsApp, X. Comme si tout commençait là. Mais la nouveauté n’est pas le mensonge. C’est plutôt sa vitesse. Là où une rumeur mettait des mois à franchir les montagnes, un tweet fait le tour du monde en dix secondes. Mais qu’importe la vitesse : le poison est le même.

Et ce poison, ce sont les préjugés. Bachelard le disait déjà : « l’esprit n’est jamais jeune, il a l’âge de ses préjugés ». Descartes aussi : ce que nous croyons n’est pas une preuve, mais une habitude. L’éducation aux médias ? Oui, nécessaire. Mais comment déprogrammer des cerveaux formatés depuis l’enfance ? Comment déraciner une désinformation qui n’est pas conjoncturelle mais structurelle ?

Le seul antidote : l’esprit critique

Le combat est là. Pas seulement dans les filtres anti-fake news, mais dans les cerveaux. Le seul antidote, c’est l’esprit critique. Popper et son doute rationnel. Descartes et ses règles : n’accepter que l’évidence, décomposer, recomposer, vérifier. Des outils vieux de quatre siècles, mais plus modernes que tous les logiciels de fact-checking.

Parce qu’au fond, ce ne sont pas les fake news qui gouvernent le monde. Ce sont les préjugés qu’elles laissent derrière elles. Des mensonges qui ne se tweetent pas : ils s’héritent. Des illusions qui ne s’effacent pas d’un clic : elles se gravent dans les mémoires.

Et tant que nous n’aurons pas appris à les combattre, nous resterons prisonniers d’une désinformation plus redoutable que toutes les rumeurs numériques : celle qui façonne, depuis toujours, ce que nous croyons être la vérité.

F. Togola 


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