Entre coups d’État, transitions prolongées et élections sous contrôle, l’Afrique de l’Ouest voit sa démocratie se transformer en mirage. Tandis que les militaires s’installent au pouvoir et que les présidents réécrivent les règles du jeu, une question demeure : s’agit-il d’une mutation du pouvoir ou d’un retour aux vieux réflexes autoritaires ?
Le vent de la démocratie, qui soufflait sur l’Afrique de l’Ouest depuis les années 1990, s’est essoufflé, remplacé par un retour méthodique des régimes militaires et des présidences à vie. Putshistes reconvertis en candidats, élections sous contrôle, révisions constitutionnelles taillées sur mesure… La région n’assiste pas à une rupture brutale avec le passé, mais à une mutation subtile du pouvoir, où l’armée et les élites politiques réinventent les règles du jeu à leur avantage. Derrière les discours de transition et de souveraineté, une question demeure : qui aura le dernier mot, les urnes ou la kalachnikov ?
L’armée, nouvelle colonne vertébrale du pouvoir
Mali, Burkina Faso, Niger, en l’espace de trois ans, ces trois États sahéliens ont basculé sous le contrôle des militaires, qui ont justifié leur prise de pouvoir par la nécessité de lutter contre le terrorisme et de restaurer l’autorité de l’État. Le peuple, fatigué des élites corrompues et des interventions étrangères, a applaudi. Mais à mesure que les promesses d’élections s’éloignent et que les discours souverainistes se durcissent, le pouvoir militaire s’installe, se structure et se pérennise.
Le modèle inspire. Au Gabon, Brice Oligui Nguema, arrivé au pouvoir par la force en août 2023, s’est découvert une vocation démocratique et s’apprête à briguer un mandat présidentiel en avril 2025. Même logique au Tchad, où Mahamat Idriss Déby s’est offert un vernis électoral en 2024, perpétuant une dynastie familiale vieille de 30 ans. Quant à Faure Gnassingbé, au Togo, il préfère remodeler la Constitution pour sécuriser son pouvoir, rendant toute alternance improbable. Autrement dit, ici on ne renverse pas le système, on le réorganise à son avantage.
Élections ou simulations démocratiques ?
Le vernis démocratique est intact, mais la structure est pourrie. À Conakry comme à Libreville, les transitions militaires finissent toujours par ressembler aux régimes qu’elles ont renversés. Les élections ne sont plus un moyen d’alternance, mais un instrument de consolidation du pouvoir en place. Les opposants sont écartés, les processus verrouillés et les urnes scellées avant même l’ouverture des bureaux de vote.
En Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embaló a prolongé son mandat en douce et compte bien rester aux commandes. Ailleurs, on ne s’embarrasse même plus de subtilités. Les militaires, jadis considérés comme des arbitres provisoires, deviennent les joueurs principaux, légitimant leur pouvoir à travers des réformes constitutionnelles taillées à la mesure de leur ambition.
La démocratie à l’africaine, mutation ou mirage ?
Face à ce réajustement silencieux du pouvoir, la CEDEAO assiste, impuissante, à l’effondrement du modèle démocratique qu’elle prétend défendre. Incapable de sanctionner efficacement les militaires, elle a perdu trois de ses membres stratégiques (Mali, Burkina, Niger), qui ont claqué la porte en janvier 2025, dénonçant son hypocrisie et son alignement sur les intérêts occidentaux. Le signal est sans appel : là où la CEDEAO voyait des « coups d’État », les peuples voyaient une forme de libération.
Sommes-nous face à une reconfiguration autoritaire ou à une réinvention du pouvoir adaptée aux réalités africaines ? La question est légitime. L’idéal démocratique importé des années 1990 a montré ses limites, souvent incapable de répondre aux attentes des populations et vulnérable aux élites prédatrices. Mais si la démocratie devait être réinventée, ce serait avec plus de liberté, pas moins.
L’histoire l’a prouvé, on peut retarder l’alternance, jamais l’empêcher. Les urnes verrouillées finissent toujours par exploser. Et ceux qui croient qu’un uniforme est un bouclier contre l’histoire feraient bien de relire les chapitres précédents.
A.D
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