Home Arts et Culture Débat : En France, le livre papier a-t-il encore un avenir ?

Débat : En France, le livre papier a-t-il encore un avenir ?

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Alain Busson, HEC Paris Business School

Comme les autres industries culturelles françaises, l’industrie du livre a souffert de la crise sanitaire et du confinement : pertes économiques (les estimations oscillant entre 20 et 40 % de perte de chiffre d’affaires, problèmes de trésorerie et d’endettement. Néanmoins, si la crise a permis de mettre en évidence les défauts du système, elle peut être l’occasion d’une prise de conscience de la nécessité de les résoudre.

Résoudre le problème de la surproduction

Parmi les problèmes récurrents du secteur figure la surproduction des ouvrages : chaque année, le nombre de titres publiés augmente tandis que les ventes s’essoufflent et que les Français lisent moins).

Pour permettre aux ouvrages publiés juste avant le confinement de trouver leur public et aux librairies d’écouler leur stock, les maisons d’édition ont choisi de reporter la publication d’ouvrages. Ainsi, Gallimard va baisser de 40 % le nombre de nouveautés à partir de l’automne pour se concentrer sur des auteurs phares.

Le confinement remet en lumière un problème chronique : il y a près de 68 000 productions par an, soit trois fois plus qu’il y a 30 ans, pour des titres qui ne se vendent qu’à quelques milliers d’exemplaires. Ce déséquilibre important fait partie des questions liées à la surproduction entendue comme une « surpublication ». Le confinement n’a fait que confirmer cette tendance de best-sellerisation du secteur).

Une centaine de maisons d’édition indépendantes ont allié leurs voix pour dénoncer cette tendance). La course aux titres est défendue par les groupes à cause de l’incertitude liée au succès d’une œuvre mais aussi parce que les best-sellers servent à financer des ouvrages moins vendeurs mais qui tiennent à cœur aux éditeur (voir notamment l’interview croisée de Sabine Wespieser et Olivier Nora dans Le Monde).

Pour une maison, la question de la surproduction rejoint celle de la ligne éditoriale. Si certains ouvrages permettent d’en financer d’autres, la logique d’une création à deux vitesses est-elle véritablement tenable ? Si le nombre de titres doit être revu à la baisse, quels ouvrages faut-il favoriser ? Comment allier succès de vente et diversité créative ? Le choix du blockbuster est-il le choix de la facilité ou une exigence pour survivre ? Faut-il privilégier un auteur « maison » en négligeant de donner sa chance à la jeune création ? Ces questions se posaient déjà depuis longtemps et sont exacerbées par la crise.

Pour les libraires, l’épuisement tient de la difficulté à gérer et écouler les stocks. Comme nous en a fait part Lucile Frassy, de la librairie « La Suite » à Versailles, les libraires reçoivent aujourd’hui trop d’ouvrages – notamment des grands éditeurs – et n’ont plus le temps de faire ce long travail de réflexion, de conseil au lecteur, en somme, un véritable métier de passeur entre deux mondes.

L’impression à la demande ou le développement d’outils numériques qui permettraient plus d’agilité dans le système des commandes pourraient permettre de faire front contre les plates-formes dont les algorithmes de recommandation tuent la rencontre hasardeuse avec un livre.

Faire de la librairie un tiers lieu

La librairie a terriblement souffert de la crise du Covid-19. Pour ne rien arranger, les comportements du consommateur pendant le confinement n’incitent pas à l’optimisme). Les données sont certes alarmantes mais pas catastrophiques : les enquêtes réalisées après le déconfinement montrent que la librairie a gardé tout son attrait).

Deux ou trois chiffres pour s’en convaincre : 42 % des français ont déclaré qu’aller en librairie leur a manqué pendant le confinement (et 12 % beaucoup manqué)… et les pourcentages montent respectivement à 63 % et 19 % pour les clients des libraires. La librairie possède en effet un certain nombre d’atouts que les professionnels ont déjà commencé à valoriser et qui pourraient véritablement ancrer ce commerce dans un paysage urbain reconfiguré :

  • Le livre (papier) est un objet d’une grande modernité : mobile, que l’on peut feuilleter, annoter et les lecteurs y sont durablement attachés.
  • La librairie doit bénéficier de l’attrait, renforcé par la crise du Covid-19 et les enjeux climatiques, pour le commerce de proximité.
  • La librairie doit poursuivre et amplifier le mouvement initié il y a plusieurs années pour se transformer en « lieu de vie ». Si le libraire se contente de vendre des livres, il ne supportera pas longtemps la concurrence des grandes plates-formes de vente à distance.

Les maisons d’édition : un nouveau rôle à jouer ?

Le secteur traverse une triple crise.

Une crise de rentabilité d’abord : déjà faible, la rentabilité du secteur va souffrir d’une contraction forte de son activité due à la crise du COVID et son impact sur l’économie générale ; selon le SNE en mai 2020, un quart des maisons chiffrent leur perte sur l’année à plus de 40 % de leur chiffre d’affaires)

Une crise d’efficacité ensuite avec la surproduction chronique dont nous avons déjà parlé et un effet de polarisation ; la concentration croissante du secteur met les petits éditeurs en situation de précarité croissante… et ces rapports déséquilibrés se retrouvent dans la distribution des ouvrages (tribune parue dans Socialter).

Une crise de légitimité, enfin : le milieu littéraire, élitiste pour certains, s’empoussière et surtout fait l’objet de polémiques récurrentes Les prix littéraires en sont un bon exemple, accusés par certains d’être l’objet de « manipulations » et de « petits arrangements »)

Face à cette triple crise, que la chute des revenus rend pressante, deux solutions s’imposent. La première consiste à baisser les dépenses (licencier, diminuer les coûts de fonctionnement, restreindre le nombre de nouveaux titres…). Cette solution préserverait la structure de la chaîne du livre après la crise. Mais pour combien de temps ?

L’autre option consiste à tenter d’accroître les recettes. Pour cela, il convient de toucher un lectorat plus large ou d’approfondir les liens avec le lectorat existant. Jadis seules référentes de la qualité de tel ou tel livre, les maisons d’édition doivent adopter une posture de mise au service du lecteur. Cette démarche ne passe pas forcément par une perte de qualité des titres. Il s’agit plutôt de se rapprocher de la communauté de lecteurs.

Les maisons d’édition ont, de manière globale, fait preuve d’assez peu d’inventivité pendant le confinement. Hachette a certes distribué des manuels scolaires gratuits et quelques livres audio ; toutefois, les initiatives ont été disparates, peu coordonnées, et surtout éphémères.

Le moment est propice au développement de formats plus interactifs. L’essor des e-books ou des livres audio pendant le confinement en est la preuve), et montre une piste à suivre pour se rapprocher des lecteurs. La pérennité de ces solutions fait toutefois débat : la tendance pourrait revenir à la stagnation pour l’e-book (qui représentait 5 % du marché en 2019), et à la croissance modérée pour le livre audio. Elles montrent néanmoins la marche à suivre : consolider et entretenir le lien avec les lecteurs, tout en montrant plus d’écoute et d’adéquation à leurs besoins. Face à une offre culturelle surabondante, à la prise d’importance de « l’expérience » et à une concurrence audacieuse (musée, spectacle, VOD…), ce rapprochement est devenu essentiel.

Vers une hybridation des formes ?

Même si dans l’ensemble le secteur a été peu innovant, il faut néanmoins relever certaines propositions alternatives proposées pendant la crise qui se situent à la frontière d’autres disciplines.

À l’image de la Maison de la poésie à Paris, un certain nombre de théâtres, festivals ou même des initiatives indépendantes d’auteurs ont proposé des lectures de textes (littéraires au sens large) par des comédiens (France 3). Le but ici est de rester attractif dans un écosystème où les propositions pullulent. Ces initiatives laissent présager la possibilité d’une plus grande porosité entre les secteurs, notamment avec une part importante d’initiatives en ligne (plus ludiques, accessibles, touchant un public plus large).


Cet article a été rédigé avec le concours de Noa Ammar, Aurore Fierobe et Garance Mazlier (HEC-Paris)

Alain Busson, Professeur émérite ( Docteur ès Sciences Economiques), HEC Paris Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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