Dans un Mali où l’assainissement reste le parent pauvre des politiques publiques, de Bamako à Ségou, traiter enfin les eaux usées à la source est devenu un impératif de santé, de dignité et de souveraineté.
Il est sept heures du matin à Sabalibougou, en commune V du district de Bamako. Dans l’air déjà lourd de poussière et de chaleur, une odeur aigre s’invite. Entre deux étages, un mince filet d’eau sombre serpente le long d’un caniveau. Ce n’est pas la pluie — ce filet d’eau est permanemment là en toute saison — mais le trop-plein d’une fosse septique voisine. En période scolaire, les enfants sautent par-dessus, cartable sur le dos. A Bamako, moins de 1,2 % des habitants sont raccordés à un réseau d’égouts. Le reste dépend de solutions individuelles, souvent vétustes, qui finissent tôt ou tard par déborder… vers la rue, et vers le fleuve Niger.
Problèmes environnementaux et risque pour les ressources en eau
À Ségou, capitale d’une région au patrimoine culturel immense, l’absence totale de station de traitement des boues de vidange et la prolifération de latrines mal conçues condamnent la nappe phréatique à une lente intoxication.
Selon l’agence de coopération internationale allemande pour le développement (GIZ), cette situation pèse énormément sur les femmes, traditionnellement responsables des latrines domestiques et des déchets ménagers. « Une élimination inappropriée des déchets et des eaux usées entraîne de graves problèmes environnementaux et présente un risque pour les ressources en eau. », explique l’ONG.
Afrobarometre explique que « L’existence de latrines ou de toilettes à l’intérieur de la concession est plus fréquente dans les villages que dans les villes (82 % vs. 72 %), alors que leur présence à l’intérieur de la maison est plus récurrente dans les villes que dans les villages (26 % vs. 7 %). »
Les causes ? Elles tiennent autant à l’héritage qu’aux choix récents. L’État, malgré la décentralisation, n’a pas toujours transféré les ressources promises aux communes. Les 17 réseaux d’égouts de Bamako sont souvent bouchés, mal entretenus. Et sur les 4 à 5 millions d’habitants de la capitale, seuls deux sites traitent les boues pompées — quand elles ne sont pas simplement déversées dans une zone vague.
Lutter contre la perte d’énergie
Dans une enquête publiée en septembre 2024, WaterAid constate : « Tous les ménages de la Commune VI [de Bamako] ont recours à l’assainissement autonome. La défécation à l’air libre n’est pas pratiquée, mais la plupart des latrines sont peu hygiéniques et ne sont pas de bonne qualité, ce qui pose des problèmes pour leur vidange. »
Mais s’en tenir au constat, c’est accepter la fatalité. Or, le Mali regorge d’initiatives qui, si elles étaient portées à l’échelle nationale, changeraient la donne. Des toilettes sèches écologiques, qui transforment les excréments en compost et réduisent à zéro la pollution des nappes. Aussi, des biofiltres compacts, capables d’épurer les eaux sans électricité, avec de simples matériaux naturels comme la bourre de coco. S’agissant des biodigesteurs qui fournissent du biogaz aux familles tout en produisant un fertilisant organique. Quant aux mini-égouts, peu coûteux, depuis 1996, ils ont déjà fait leurs preuves à Mopti et dans les quartiers populaires de Bamako.
Le Malien Ousmane Diakité, après plusieurs années en France dans le domaine de l’isolation thermique, a fondé l’entreprise Djigui Nana, spécialisée dans l’isolation thermique et la construction de toilettes sèches. En juin 2025, il expliquait à 360 Afrique : « La technique de l’isolation permet de lutter contre la perte d’énergie, de réduire la consommation d’électricité et d’économiser de l’argent en utilisant uniquement des déchets. »
Préserver notre avenir
Ce n’est pas un rêve d’expert en développement durable, c’est du concret. Il suffit d’un plan clair : d’abord répondre à l’urgence avec des stations supplémentaires et des toilettes écologiques en zones périurbaines. Puis, à moyen terme, équiper les villes moyennes de stations compactes et généraliser les biodigesteurs dans les campagnes. Enfin, à l’horizon 2035, garantir que trois Maliens sur quatre aient accès à un assainissement amélioré, avec des communes techniquement autonomes et capables même d’exporter leur savoir-faire.
De Bamako à Ségou, le combat contre les eaux usées n’est pas une lubie technique. C’est une bataille pour la santé publique, la souveraineté alimentaire et la dignité nationale. Car si nous avons appris, au fil de l’histoire, à dompter le fleuve, il est temps maintenant de protéger ce qui le nourrit — et, avec lui, de préserver notre avenir.
Chiencoro Diarra
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