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Corridors sahéliens : comment l’AES redessine la carte commerciale de l’Afrique de l’Ouest

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Au sommet de Bamako, les dirigeants de la Confédération des États du Sahel pourraient se pencher sur la réorganisation des grands corridors logistiques au cœur de leur stratégie post-CEDEAO. Une stratégie qui fait du transport un levier décisif de souveraineté économique et d’intégration régionale.

Les 22 et 23 décembre 2025, Bamako accueille le 2ème sommet de la Confédération des États du Sahel (AES), après celui de Niamey, au Niger, consacrant la naissance de ce bloc tripartite, dans un contexte de recomposition accélérée des échanges régionaux. Depuis leur retrait effectif de la CEDEAO, le 29 janvier 2025, le Mali, le Burkina Faso et le Niger n’ont plus seulement à repenser leurs alliances politiques : ils doivent redessiner, dans l’urgence, leurs routes commerciales. Au cœur de cette équation, trois corridors — Bamako–Conakry, Niamey–Cotonou et Ouagadougou–Lomé — s’imposent comme les véritables lignes de fracture, mais aussi comme les piliers potentiels d’une souveraineté économique sahélienne.

Après la CEDEAO, la bataille des routes

La sortie de la CEDEAO, effective en janvier 2025, a profondément ébranlé les circuits commerciaux hérités. Pays enclavés, le Mali, le Burkina Faso et le Niger dépendaient historiquement de quelques axes dominants : Dakar pour le Mali, Lomé et Tema pour le Burkina Faso et le Niger. Cette architecture, longtemps considérée comme acquise, a révélé sa vulnérabilité lors des sanctions régionales de 2022-2025.

Aujourd’hui, les coûts logistiques représentent jusqu’à 40 % de la valeur des biens importés dans les pays sahéliens. Dans ces conditions, la diversification des corridors n’est plus un choix stratégique parmi d’autres. Elle devient une nécessité vitale pour la survie économique de l’espace AES.

Bamako–Conakry : la proximité comme promesse inachevée

Avec moins de 1 000 kilomètres sépare Bamako du port de Conakry. Le corridor guinéen apparaît comme l’accès maritime le plus direct pour le Mali. Pendant l’embargo régional, Conakry a su capter une part significative du trafic malien grâce à une politique tarifaire agressive et à un allègement des formalités douanières.

Mais cette promesse reste fragile. Les surcoûts maritimes vers Conakry — jusqu’à 1 000 dollars supplémentaires par conteneur — pénalisent lourdement la compétitivité du corridor. Le projet de chemin de fer Conakry–Bamako, évalué à 8,5 milliards de dollars, pourrait changer la donne. Il incarne une ambition structurante, mais aussi un pari financier et politique de long terme. Pour l’AES, ce corridor est moins un acquis qu’un symbole : celui de la volonté de rompre avec la dépendance exclusive aux axes historiques. Au seuil du 2ème sommet de l’AES, le Premier ministre malien, accompagné d’une forte délégation a effectué une visite d’amitié et de travail en Guinée, du 8 au 9 décembre 2025. Au cours de ce déplacement, plusieurs questions d’intérêts commun ont été débattues. 

Niamey–Cotonou : un axe vital sous contraintes

Le corridor Niamey–Cotonou reste, malgré les tensions politiques récentes, un axe indispensable pour le Niger. Il irrigue un vaste espace économique reliant le golfe de Guinée au cœur du Sahel. Pourtant, son efficacité est minée par des obstacles bien connus : multiplication des postes de contrôle, lenteurs douanières, dégradation des infrastructures et insécurité persistante.

Des initiatives existent, notamment à travers des projets de réforme institutionnelle et d’harmonisation des procédures. Mais l’enjeu pour l’AES dépasse la simple optimisation technique. Il s’agit de préserver un corridor historiquement central tout en l’inscrivant dans une nouvelle logique régionale, moins dépendante des équilibres politiques anciens.

Ouagadougou–Lomé : l’axe le plus abouti, mais le plus exposé politiquement

Le corridor Ouagadougou–Lomé apparaît aujourd’hui comme le plus performant des trois. Le port autonome de Lomé, modernisé et certifié, concentre l’essentiel du trafic de transit du Burkina Faso et joue un rôle croissant pour le Niger. Les investissements soutenus par la Banque mondiale et les engagements togolais en matière de fluidification en font un modèle relatif de logistique régionale.

Mais ce succès repose sur un équilibre délicat. Le Togo n’est pas membre de l’AES et se positionne comme un acteur-pont entre la confédération sahélienne et la CEDEAO. Cette neutralité pragmatique constitue à la fois un atout et une fragilité : le corridor Lomé–Ouagadougou dépend, plus que les autres, de la stabilité diplomatique régionale.

Harmoniser pour exister : le chantier douanier

Au-delà des infrastructures, l’un des enjeux centraux du sommet de Bamako réside dans l’harmonisation douanière. Des progrès ont été enregistrés en 2025, avec une réduction tangible des délais de passage sur certains axes et une coordination accrue entre administrations.

L’objectif affiché est d’étendre ces réformes aux trois corridors stratégiques, interconnecter les systèmes informatiques, mutualiser les contrôles et réduire les coûts de transaction. Sans cette convergence institutionnelle, aucun corridor ne pourra jouer pleinement son rôle de levier d’intégration.

La création de la Banque confédérale pour l’investissement et le développement (BCID-AES) est la clé financière qui cristallise les ambitions de l’espace sahélien. C’est un outil de financement endogène, qui soutiendra  les projets structurants, des routes aux chemins de fer.

Une priorité réelle, mais sous haute tension

Les trois corridors occupent indéniablement une place centrale dans l’agenda du sommet de Bamako. Chacun incarne une fonction différente : Ouagadougou–Lomé comme socle opérationnel, Niamey–Cotonou comme axe vital à réformer, Bamako–Conakry comme horizon stratégique.

Mais cette priorité reste conditionnelle. L’insécurité persistante, les coûts logistiques élevés, la fragilité financière et les lenteurs institutionnelles pèsent lourdement sur les ambitions affichées. Mais le sommet de Bamako aura sans doute permis de consolider un engagement politique. Dès 2026, l’AES pourrait transformer ces corridors en véritables instruments de souveraineté économique.

A.D


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