Au Tchad, la révision constitutionnelle adoptée le 15 septembre bouleverse les équilibres institutionnels. Derrière un habillage technique, les députés ouvrent la voie à un mandat présidentiel illimité pour Mahamat Idriss Déby. Entre « présidence à vie » évoquée dans l’hémicycle et réforme des règles du jeu politique, c’est tout l’avenir de la jeune Constitution de 2023 qui se joue.
C’est une réforme que l’on avait présentée comme « technique », presque anodine, un simple ajustement de la loi fondamentale adoptée il y a vingt mois pour tourner la page de la transition. Lundi 15 septembre, dans l’hémicycle de N’Djamena, les députés tchadiens ont pourtant voté un texte qui change la donne : un mandat présidentiel allongé de cinq à sept ans, désormais renouvelable sans limitation. Autrement dit, l’ouverture assumée de la voie à une présidence sans fin pour Mahamat Idriss Déby.
Autant de révisions, autant de leviers de contrôle
Le scrutin n’a laissé place à aucune ambiguïté. 171 députés sur 188 ont validé la proposition, un seul — l’opposant Beral Mbaïkoubou — a voté contre. Les autres, tétanisés ou résignés, ont préféré boycotter la séance ou quitter la salle, notamment après la provocation d’un élu du Mouvement patriotique du salut (MPS), qui, porté par un zèle déconcertant, a suggéré d’aller plus loin encore : une « présidence à vie », au nom d’une prétendue « émanation divine » du pouvoir et du coût excessif des élections, rapporte un média étranger. Le reste, chacun le sait, n’était plus qu’une formalité.
Car au-delà du mandat présidentiel, c’est toute l’architecture institutionnelle qui est retouchée. Désormais, le président pourra cumuler ses fonctions avec celles d’un parti — Mahamat Idriss Déby, déjà président du MPS depuis janvier, en sort légitimé a posteriori. Le rapport ouvre aussi la voie à un financement public des campagnes électorales, à l’allongement du mandat des députés de cinq à six ans et même à la création d’un poste de vice-Premier ministre. Autant de révisions, autant de leviers de contrôle.
La tentation du pouvoir sans fin, aussi vieille que les républiques qu’elle prétend fonder
Le gouvernement, qui dit « prendre acte » de l’initiative, ne s’y trompe pas. Le Sénat, lui, a déjà mis en place sa propre commission spéciale. Mercredi 17 septembre, députés et sénateurs se réuniront en Congrès, avec à l’horizon une adoption formelle attendue le 13 octobre.
Dans les couloirs de N’Djamena, certains parlent d’« ivoirisation » du modèle tchadien, en référence à l’art consommé des présidences africaines de s’éterniser au pouvoir sous couvert de révisions légales. D’autres rappellent que c’est précisément pour éviter ce piège qu’avait été écrite la Constitution de décembre 2023. Une évidence s’impose toutefois : au Tchad comme ailleurs, la tentation du pouvoir sans fin reste une constante politique, aussi vieille que les républiques qu’elle prétend fonder.
A.D
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