Au cœur d’un scandale financier retentissant, la CMDT, pilier de l’économie malienne, vacille sous le poids d’une gestion opaque et de dérives aux allures de naufrage annoncé.
Au Mali, on aime à rappeler que le coton est une affaire d’État, et que la Compagnie Malienne pour le Développement des Textiles (CMDT) en est le temple. Créée en 1974 dans la grande tradition des sociétés d’économie mixte héritées du socialisme pragmatique des indépendances, la CMDT est à la fois le cœur battant d’un secteur stratégique et le miroir des errements d’un État qui peine à réformer ses piliers économiques.
Cette fois, pourtant, le miroir s’est fissuré. Un rapport explosif du Bureau du Vérificateur Général (BVG), couvrant les exercices 2020-2024, vient de jeter une lumière crue sur la gestion opaque de l’entreprise. Montant du préjudice ? Plus de 6,2 milliards de FCFA en irrégularités financières. Marchés attribués à des fournisseurs fantômes, prêts accordés sans garantie de remboursement, achats d’engrais et de pesticides dans des conditions dignes d’un scénario de série noire… la CMDT, cette vieille dame en apparence indéboulonnable, vacille sous le poids de sa propre gabegie.
Une économie sous perfusion, un État actionnaire aveugle
Le coton, cet « or blanc » qui fut, au début des années 2000, l’un des rares motifs de fierté d’une économie malienne en perpétuelle quête de diversification, représente encore aujourd’hui 15 % du PIB national. Il nourrit plus de quatre millions de personnes et demeure un levier essentiel dans la balance commerciale du pays.
Mais depuis des années, la CMDT, censée incarner la rigueur d’un modèle où l’État joue les chefs d’orchestre, navigue à vue. La privatisation avortée de 2012, après des années de tergiversations, a laissé place à un immobilisme coupable. L’État malien, actionnaire à 99,49 %, observe, impassible, l’accumulation des dérives. Pourtant, ce n’est pas faute d’alertes. Depuis plus d’une décennie, les audits successifs relèvent les mêmes tares : absence de transparence dans l’attribution des marchés, passation de contrats en violation des règles de concurrence, gestion des stocks anarchique et, plus grave encore, un laxisme généralisé dans le contrôle des finances.
Le dernier rapport du BVG enfonce le clou. Dans un ballet d’incompétence et de laxisme, les dirigeants de la CMDT ont continué à appliquer une taxe abrogée depuis 2019, alourdissant artificiellement les charges de l’entreprise. Quant au PDG, il ne s’est pas contenté de fermer les yeux : il s’est attribué des indemnités indues tout en distribuant des « appuis financiers » dont la justification relève du mystère d’État.
Pesticides interdits et complicités en haut lieu
Là où l’affaire prend une tournure encore plus scandaleuse, c’est dans l’importation illégale de pesticides. Au mépris des règles sanitaires et environnementales, la CMDT a procédé à l’achat de produits interdits, destinés à la lutte contre les jassides, un fléau pour les plantations. La manœuvre, facilitée par des complicités au sein de la Direction Générale du Commerce, montre à quel point certaines pratiques restent profondément enracinées dans les rouages de l’administration malienne.
Les conséquences pourraient être désastreuses. Car dans un pays où l’agriculture dépend de la qualité des intrants et où la moindre suspicion de contamination peut faire chuter les exportations, la légèreté avec laquelle cette affaire a été menée en dit long sur l’état de la gouvernance économique.
CMDT, la fin d’un mythe ?
Cette énième alerte restera-t-elle, comme tant d’autres, sans effet ? Depuis 2012, chaque rapport du BVG fait l’effet d’un feu de paille médiatique avant de s’éteindre dans les sables mouvants de la bureaucratie. On enterre les conclusions dans des commissions d’enquête sans lendemain, on remplace quelques cadres sans toucher aux fondements du système, et le cycle continue.
Mais cette fois, l’État malien peut-il encore se permettre de regarder ailleurs ? À l’heure où le pays cherche à redorer son image économique, où les bailleurs de fonds scrutent avec méfiance la gestion des entreprises publiques, et où les producteurs de coton eux-mêmes commencent à douter de la pérennité du modèle, un tournant est inévitable.
La CMDT, longtemps considérée comme un intouchable bastion, est aujourd’hui face à son destin. Sera-t-elle le symbole d’un Mali qui change, qui impose enfin des règles à ses mastodontes économiques, ou restera-t-elle ce qu’elle est depuis trop longtemps : une forteresse imprenable où l’argent public se dilue dans les méandres de la mauvaise gestion ?
Le choix appartient à ceux qui, à Bamako, ont les clés du pouvoir. Mais le temps, lui, commence à manquer.
A.D
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