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Chronique – Mali : ce que la transition est… et ce qu’elle n’est pas

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Alors que certains dénoncent un glissement autoritaire, la transition malienne sous le général Assimi Goïta tente de reconstruire, dans la contrainte, les fondations d’un État souverain et stable. Une chronique sur le difficile arbitrage entre légitimité, sécurité et refondation.

Il est des moments de l’Histoire où l’impatience démocratique se heurte à l’impératif de reconstruction. Le Mali vit aujourd’hui l’un de ces instants-charnières, où la forme politique prend temporairement le pas sur les procédures, où la légitimité se cherche ailleurs que dans l’urne, et où la stabilité devient, dans l’urgence, une condition de la liberté à venir.

Restaurer les fondations d’un État effondré par une trentaine d’années de démocratie 

Il est devenu courant, en Occident, de juger à l’aune de ses propres référents toute expérience politique qui ne correspond pas aux canons électoraux du modèle libéral classique. Ainsi, on se plaît à désigner le Mali comme une dictature. Une manière commode – et paresseuse – de classer ce qui échappe au cadre, sans prendre le temps d’observer ce qui se joue réellement.

Et pourtant, le Mali, sous la direction du président de la Transition, le général Assimi Goïta, est en train d’expérimenter, à tâtons, sous pression, un autre chemin vers la légitimité politique, dans un contexte que peu de démocraties occidentales seraient en mesure de supporter : crise sécuritaire, adversité régionale, désengagement international, crise économique, et chaos géopolitique au Sahel.

Depuis l’arrivée au pouvoir du colonel, puis général, Assimi Goïta, en 2020, le Mali est entré dans une phase que d’aucuns qualifient hâtivement de régression autoritaire. C’est aller un peu vite en besogne. Ce n’est pas un régime d’oppression systématique, mais une tentative, encore fragile, de restaurer les fondations d’un État effondré.

La démocratie ne se réduit pas à une mécanique électorale

Face à une insécurité chronique, à un effondrement du tissu institutionnel, à une crise régionale et à une recomposition des alliances géopolitiques, la transition malienne a choisi la fermeté comme méthode et la refondation comme objectif. La nouvelle Constitution adoptée en 2023, les Assises nationales en 2021, la création d’une Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE) sont autant de signaux marquants qu’il serait hasardeux d’ignorer.

Il ne s’agit pas ici de nier les dérives possibles : la suspension des partis politiques, les restrictions imposées à certaines voix critiques et le manque d’inclusivité de certaines concertations doivent interroger. Mais ils ne suffisent pas, à eux seuls, à qualifier ce régime de dictature. Le Mali n’est pas l’Érythrée, ni la Biélorussie. Il demeure un espace en tension, mais pas encore clos.

Il est devenu courant, dans les chancelleries occidentales, de faire de l’élection un absolu, une fin en soi. Pourtant, l’histoire nous apprend que la démocratie ne se réduit pas à une mécanique électorale. Elle est d’abord un pacte de confiance, une infrastructure de justice, un espace de liberté fondé sur des institutions solides. Or, c’est précisément ce que le Mali tente de reconstruire. Dans un désordre régional croissant, ce pays cherche à inventer une forme de souveraineté compatible avec l’exigence populaire et les réalités du terrain.

Ne plus confondre démocratie et dépendance extérieure

Il ne s’agit pas de défendre une militarisation du pouvoir, mais de comprendre qu’un État sans colonne vertébrale ne peut durablement garantir ni la liberté ni la paix. Ce que fait aujourd’hui le Mali, c’est suspendre la forme pour mieux retrouver le fond. Imparfaitement, douloureusement parfois, mais avec une intention claire : ne plus confondre démocratie et dépendance extérieure, pluralisme et chaos organisé.

Le retour à l’ordre constitutionnel est une nécessité. Il le sera d’autant plus solide qu’il sera précédé d’un travail patient sur l’institution, la souveraineté, la paix.

Le Mali ne mérite ni indulgence aveugle ni condamnation automatique. Il mérite d’être observé, compris, et accompagné avec lucidité. Car dans cette transition âpre et controversée, s’ébauche une démocratie qui ne serait plus importée, mais enfin enracinée.

Ce n’est donc pas un recul, mais un détour. Pas une régression, mais une suspension. Pas une dictature, mais une transition ferme dans un monde qui ne l’est plus. Il faut souhaiter que ce cheminement débouche sur une démocratie réelle, fondée non sur le fétichisme des élections périodiques, mais sur la confiance retrouvée entre gouvernants et gouvernés.

La démocratie ne se décrète pas. Elle se mérite. Et parfois, elle commence par le courage d’imposer un cap avant de consulter une boussole.

Chiencoro Diarra


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