Au Mali, c’est un jour pas comme les autres, le général Assimi Goïta, président de la transition, recevra dans quelques heures, ce 22 juillet 2025 le projet de Charte nationale pour la paix et la réconciliation. Fruit d’un vaste processus de consultation populaire, ce texte, rédigé par des Maliens pour des Maliens, marque un tournant dans la quête de souveraineté et de cohésion d’un pays longtemps fracturé. Entre ruptures assumées et enracinement endogène, cette Charte ouvrira une ère nouvelle.
Il y a des dates qu’on n’oublie pas. Pas parce qu’un drapeau a flotté plus haut ni parce qu’un traité a été signé sous les ors d’un palais étranger. Non. Mais parce qu’un pays, tout entier, s’est regardé dans le miroir de ses blessures et s’est dit : « plus jamais ça ». Le 22 juillet 2025, au centre international de conférence de Bamako (CICB), le général Assimi Goïta recevra ce que le Mali n’avait encore jamais osé écrire de lui-même : une Charte nationale pour la paix et la réconciliation, pensée par les Maliens, pour les Maliens.
Pas d’euphorie. Pas de triomphalisme. Juste le sentiment, contenu, mais profond, d’avoir repris la main sur l’histoire.
Le Mali des doléances, le Mali des silences
Ce texte, fruit de plus d’un an de consultations nationales, a une odeur de terre rouge et de sueur sèche. Celle d’Adama Coulibaly, déplacé depuis 2021 dans les faubourgs de Mopti, qui dit d’un ton calme : « On nous a oubliés. Cette Charte, c’est peut-être ce qui va nous ramener chez nous. » Ou encore d’Aminata Diallo, veuve de guerre, à Ségou, qui ne réclame ni statues ni médailles : « Nous n’attendons plus des promesses. Nous attendons des actes. »
La Commission, dirigée par l’ancien Premier ministre Ousmane Issoufi Maïga, a écouté. Elle a noté. Elle a rassemblé. Chefferies traditionnelles, imams, enseignants, chasseurs dozos, syndicalistes, étudiants, exilés et jeunes diplômés sans avenir… Tous ont été entendus. Et c’est ce mélange de témoignages bruts, de blessures ouvertes, mais aussi d’espoirs simples, qui irrigue les 106 articles de la Charte.
Un texte à la fois solennel et vivant
Ce n’est pas un copier-coller d’accords passés. Ni un artifice juridique. C’est un corps vivant. Un socle moral. Un miroir tendu à un pays qui a trop longtemps attendu que la paix vienne d’ailleurs.
Car l’esprit de la Charte est clair : il s’agit de substituer au silence des armes, la parole des anciens. À la tutelle extérieure, la responsabilité intérieure. À l’Accord d’Alger, enterré en janvier 2024, une alternative ancrée dans le réel.
La paix sans Paris. La réconciliation sans Alger. Pourtant, Algérie propose sa médiation au Mali dans sa quête de paix durable, mais certaines conditions propres à elle. C’est le chemin de la souveraineté, dans sa version la plus concrète que le Mali d’amorcer.
Goïta, le pari du temps long
Sur ce terrain glissant, Assimi Goïta n’a pas opté pour la précipitation. Il aurait pu faire comme tant d’autres. Geler les conflits. Se contenter d’annonces. Il a préféré construire. Brique par brique. Consultations après dialogues.
Ceux qui l’accusent d’avoir tourné le dos à la communauté internationale oublient que cette Charte est aussi une réponse à l’instrumentalisation de la paix. À la paix contre le chantage, sous condition. À la paix dictée. Ce document est une réponse malienne aux défis maliens. C’est Ousmane Issoufi Maïga qui le dit, et son phrasé lent, presque paternal, n’a rien d’anodin.
Du papier à la réalité : l’enjeu de l’application
Mais personne n’est dupe. Pas même ceux qui ont applaudi les différents processus d’élaboration du document. Car la paix ne se signe pas. Elle se construit, se mesure à la réintégration des déplacés, à la réhabilitation des écoles brûlées, à la réouverture des routes. Elle se lit dans les regards des enfants qui reviennent au village.
La Charte prévoit une éducation à la citoyenneté, la revalorisation des cultures locales, le retour des réfugiés, l’appui aux victimes, la diplomatie coutumière. Elle érige en valeur nationale la « parenté à plaisanterie », ce ciment invisible entre les peuples, bien plus efficace que mille séminaires onusiens.
Une rupture salutaire avec Alger
Car au fond, ce texte enterre définitivement l’accord de 2015. L’Accord d’Alger, signé sous la contrainte et dans la langue d’un autre, avait fini par ne plus parler à personne. Ni au nord meurtri ni au sud oublié. Il avait été vidé de sa substance. Pire, instrumentalisé.
Goïta a tourné la page. Non dans un élan de revanche, mais parce qu’il fallait écrire autre chose. Et l’écrire dans les langues du pays. En bambara, en songhaï, en tamasheq. En peul, en dogon, en arabe du fleuve.
Vers une paix réelle ou une illusion nouvelle ?
Bien sûr, il faudra du temps. Des moyens. Du courage. Il faudra résister aux tentations de récupération. À la lassitude. Au cynisme ambiant. Car ce n’est pas un texte qui fait la paix. C’est l’usage qu’on en fait.
Mais pour une fois, le Mali a cessé d’attendre qu’on parle en son nom. Il a retrouvé sa voix. Et, avec elle, une part de sa dignité perdue.
Alors oui, ce 22 juillet 2025 restera. Non pas comme la fin d’un conflit, mais comme le début d’un pari : celui d’un Mali réconcilié avec lui-même.
Chiencoro Diarra
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