La Cour de justice de la CEDEAO a acté la radiation de 33 affaires impliquant le Mali, le Burkina Faso et le Niger, désormais sortis de l’organisation. Un geste administratif aux airs de rupture politique, qui signe la fin d’une ère judiciaire régionale.
C’est une page d’histoire judiciaire qui se tourne en silence, mais dont les échos résonnent déjà entre Bamako, Ouagadougou et Niamey. Dans une ordonnance aussi sobre que lourde de sens, datée du siège d’Abuja, la Cour de Justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a décidé de rayer purement et simplement 33 affaires pendantes impliquant le Mali, le Burkina Faso et le Niger. La raison ? Le retrait officiel de ces trois pays de l’organisation sous-régionale.
Le sort des plaignants
Dans cette liste funèbre des litiges judiciaires désormais orphelins de juge, on retrouve tout : des plaintes contre les États par des personnalités politiques (comme l’ancien président malien Bah N’Daw ou encore Kassoum Keïta), des griefs déposés par des journalistes, des ONG, des sociétés privées ou encore de simples citoyens estimant avoir été victimes d’injustices flagrantes. De Reporters Sans Frontières à des regroupements de victimes du régime, en passant par des sociétés industrielles ou des organisations de la société civile, c’est tout un pan de la justice régionale qui disparaît.
Le motif invoqué par la juridiction ouest-africaine est limpide. En quittant officiellement la CEDEAO, ces trois pays membres fondateurs de l’AES (Alliance des États du Sahel) se sont de facto soustraits à la compétence de la Cour. En conséquence, cette dernière se dit dans l’impossibilité juridique de trancher leurs affaires. Et le couperet tombe, les procédures sont déclarées nulles et non avenues.
Ce retrait n’est pas qu’un acte diplomatique ou politique. Il a désormais des conséquences directes pour des centaines de justiciables. Une radiation en bloc de 33 dossiers — 5 pour le Burkina Faso, 16 pour le Mali, 12 pour le Niger — qui pose la question du sort des plaignants. Où iront-ils désormais chercher réparation ? Dans quelles juridictions régionales ou internationales pourront-ils espérer faire valoir leurs droits ?
Un silence judiciaire plus assourdissant qu’une condamnation
Car au-delà des symboles et des rapports de force géopolitiques, il y a des vies, des combats, des attentes. Il y a cette tension entre souveraineté retrouvée et justice évaporée. Entre la volonté de se libérer d’un joug perçu comme néocolonial et la nécessité d’offrir à ses citoyens un recours supranational.
En se retirant de la CEDEAO, les pays de l’AES tournent la page d’un cadre juridique qu’ils jugeaient biaisé, voire instrumentalisé. Mais en l’absence d’une Cour sous-régionale alternative, cette décision crée un vide. Un vide où les victimes n’ont plus d’interlocuteur, où les promesses de justice restent lettre morte.
L’histoire retiendra cette ordonnance comme un tournant. Non pas pour ce qu’elle dit, mais pour ce qu’elle empêche. Un silence judiciaire qui, à bien des égards, est plus assourdissant qu’une condamnation.
A.D
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