En graciant 21 anciens putschistes du coup d’État manqué de 2015, le capitaine Ibrahim Traoré ne se contente pas d’un geste de clémence. Il redéfinit, dans l’urgence sécuritaire, les contours mouvants de la fidélité militaire, à condition qu’elle serve désormais la République.
Dans l’Afrique des transitions militaires, où les priorités s’écrivent souvent à l’encre de l’urgence, chaque geste présidentiel vaut déclaration d’intention. En graciant, par décret, 21 anciens militaires condamnés pour leur implication dans le putsch manqué de 2015, le capitaine Ibrahim Traoré a fait davantage que tendre la main aux vaincus d’hier. Il a envoyé un signal politique aux alliés, un message tactique à ses ennemis, et un avertissement voilé à sa propre armée.
L’annonce, rendue publique le 31 mars, s’appuie sur une loi adoptée en décembre dernier. Elle accorde une grâce dite « amnistiante » à ceux ayant été poursuivis pour leur tentative de renversement du régime provisoire mis en place après la chute de Blaise Compaoré. À l’époque, les hommes de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle avaient échoué à rétablir l’ancien ordre, battus en douze jours par les unités loyalistes. L’épisode, brutal, avait fait 14 morts et près de 270 blessés. Le verdict judiciaire, lui, était tombé en 2019 : « atteinte à la sûreté de l’État », « meurtres », « trahison ».
Une grâce sans effacement
Les bénéficiaires de cette faveur présidentielle – six officiers et quinze sous-officiers et soldats du rang – verront leur uniforme réattribué, mais sans carrière reconstruite, ni pension, ni indemnité. Le décret est formel. Il s’agit d’une réintégration, non d’une réhabilitation.
Ceux qui restent à l’écart – les généraux Gilbert Diendéré et Djibrill Bassolé, piliers de l’appareil Compaoré – incarnent la ligne rouge que Traoré refuse de franchir. Si l’on peut pardonner l’obéissance, on ne saurait effacer la planification.
À Ouagadougou, cette décision n’est pas née dans le confort de la paix. Elle répond à une réalité de terrain. Un pays en guerre ardue contre les groupes jihadistes et leurs sponsors étrangers. Le gouvernement burkinabè est en quête de combattants. Et dans cette guerre d’usure, les bras valides d’hier peuvent redevenir les fusils utiles de demain.
Comme l’a précisé le ministre de la Justice Edasso Rodrigue Bayala, ces anciens « putschistes » ne seront pas graciés gratuitement. Ils devront « manifester un engagement patriotique dans la reconquête du territoire » et « participer activement à la lutte contre le terrorisme ». En d’autres termes, prouver leur loyauté, non plus dans les discours, mais sur les champs de bataille.
Une mémoire recomposée, une loyauté réassignée
L’Afrique de l’Ouest a connu d’autres tentatives de recomposition sécuritaire à partir de fragments d’anciens régimes. La Côte d’Ivoire post-crise, le Tchad post-Habré, ou plus récemment, la Guinée en refonte militaire silencieuse. Partout, la même équation : transformer les rebelles d’hier en remparts d’aujourd’hui, sans que la mémoire collective ne se dissolve dans l’amnistie.
Ibrahim Traoré, lui, avance à pas calculés. À la croisée du pardon pragmatique et de la discipline de guerre. À l’image d’un pouvoir qui, pour durer, apprend à conjuguer verticalité, réversibilité et nécessité.
L’histoire dira si ces hommes, un jour traîtres, sauront être soldats. Et si cette grâce, accordée à défaut d’oubli, suffira à bâtir la loyauté de demain.
Chiencoro Diarra
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