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Boubacar Bocoum : « Le peuple ne comprend pas les grands discours que nous tenons »

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Le Mali célèbre, ce mercredi 22 septembre 2021, le 61e anniversaire de son accession à l’indépendance. A cette occasion, Sahel Tribune est allé à la rencontre de l’analyste politique Boubacar Bocoum, membre du directoire du Centre d’étude stratégique (sènè) et président de l’Association pour l’éducation citoyenne et le développement. Nous vous invitons à lire la première partie de notre entretien.

Sahel Tribune : Quel regard portez-vous sur les 61 ans d’indépendance du Mali ?

Boubacar Bocoum : Nous savons que la guerre froide est un long combat, favorisée par l’éveil des peuples colonisés d’Afrique et d’Asie. Ces guerres traduisent un contexte réel de la géopolitique qui a fait que nos pays sont allés vers ces semblants d’indépendance. N’étant pas préparés à la relève, n’ayant pas les cadres nécessaires pour enclencher le développement et ne connaissant même pas les arcanes de la géopolitique et de la géostratégie, les choix de nos États n’ont pas été forcément bien mûris, bien compris et intégrés par les différentes communautés.

Le Mali n’est toujours pas un État souverain ?

À la date d’aujourd’hui, on n’est pas un État souverain. Peut-être, à travers la transition en cours, nous aurons l’intelligence de comprendre que nous devons reconquérir notre indépendance et faire du Mali un pays souverain, un État émergent.

L’histoire du Mali, c’est aussi la récurrence des coups d’État et des crises sécuritaires. Comment expliquez-vous cela ?

Nous sommes au moins à quatre coups d’État, à peu près quatre rébellions dans le Nord du Mali. Tous ceux-ci montrent que nous traversons une instabilité politique. Qui parle d’instabilité politique parle d’économie. Quand vous ne maîtrisez pas votre économie, vous n’avez pas de leviers politiques.

Aujourd’hui, nos pays sont sous l’ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, avec une emprise évidente des pays capitalistes. Le cartel bancaire, financier nous contrôle. Si nous n’avons pas la possibilité de définir nos politiques, nous allons assister à des formes d’instabilité. Il y a donc une rupture entre le modèle de gouvernance que nous avons hérité plus ou moins de la colonisation, et le système classique de gouvernance dans nos communautés.

Système classique, vous dites ?

Oui. Avant la colonisation, nos populations et nos empires étaient dirigés. Il y avait une forme de démocratique participative, qui faisait que les différentes communautés vivaient dans un modèle fédératif, avec une intelligence des codes sociaux, notamment le « Sinankunya », le « Balimaya » et bien d’autres. Grâce à ces codes, malgré la diversité culturelle, ethnique, les gens vivaient sur le même espace tout en préservant leurs intérêts économiques, sociaux et culturels. Une intelligence qui permettait aux différentes communautés de vivre en parfaite symbiose et avec un modèle de gouvernance bien structuré. Les gens se reconnaissaient dans cette forme de gouvernance directe.

 « Le modèle ne correspond pas à notre mécanisme »

Le colonialisme a décapité ce mécanisme. À travers les soi-disant indépendances, les premiers dirigeants ont dupliqué le modèle occidental. Ils ont continué à nous gouverner comme des Républiques. Du coup, le peuple les a vus comme des oppresseurs, des prédateurs. Nos dirigeants étaient téléguidés par l’Occident. Ils ne parvenaient plus à répondre aux demandes essentielles du citoyen. Le peuple ne se reconnaissait plus en eux. On ne parvient pas à nous donner à manger correctement, à pousser l’économie, à nous donner la sécurité et la justice que nous attendons. Le modèle ne correspond pas à notre mécanisme.

Quand vous êtes dans un mécanisme où le peuple ne se reconnaît pas en vous, au bout du rouleau, vous devenez un oppresseur et il y a une révolte à la clé.

Nos dirigeants travailleraient donc pour l’intérêt des Occidentaux ?

Bien sûr ! Cela est très clair. Comment se font nos élections ? C’est des choix. C’est-à-dire que l’Occident fait du casting pour voir, qui défend le mieux ses intérêts. Que vous ayez le niveau ou pas, ils sont capables de vous faire passer pour le meilleur, le plus grand intellectuel et patriote du monde. Juste parce qu’ils ont besoin de vous exploiter. Si vous jouez le jeu, on fait en sorte que vous soyez le président de ce pays.

C’est le mécanisme qui est mis en place depuis les années 1960. C’est pourquoi tous les panafricanistes ont été tués. Tous ceux qui voulaient se battre réellement, de façon convaincue, pour le développement économique, social et culturel de nos pays, ont eu des bâtons dans leurs roues.

Et le peuple dans tout cela ?

Puisqu’ils ont investi de l’argent, se sont battus pour que vous soyez au pouvoir, il faut que vous leur donniez la possibilité aussi de faire un retour sur investissement. Ce qui, en réalité, est au détriment de nos populations. Si vous refusez ces postures, ils vont saboter votre système, vous faire un coup d’État, vous déstabiliser.

Mais le peuple ne comprend pas les grands discours que nous tenons. Notre peuple veut à manger, à boire : la tranquillité.

Nous acceptons nos gouvernants malgré que nous soyons mal gouvernés, que nous souffrions. Mais une fois qu’il y a un déclic quelque part, un pôle d’attraction se crée. On trouve quelqu’un pour changer la musique en disant qu’il va apporter le changement. Une fois qu’il a la bonne communication, tout le lobby international autour de lui, les gens gardent de nouveau l’espoir. Malheureusement, ce nouveau messie n’est qu’un pion de l’Occident qui va refaire exactement les mêmes choses.

C’est ainsi que de façon cyclique, nous retombons toujours dans les mêmes mécanismes. Nous n’avons pas de dirigeants qui soient réellement l’émanation du peuple.

Propos recueillis par Bakary Fomba


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