Home A la Une Ballan Diakité, Politologue-chercheur : La Cédéao « n’a pas actuellement les moyens nécessaires pour une intervention militaire au Niger »

Ballan Diakité, Politologue-chercheur : La Cédéao « n’a pas actuellement les moyens nécessaires pour une intervention militaire au Niger »

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En plus d’une décennie de crise sécuritaire, les pays de la région ouest-africaine, notamment ceux du Sahel sont confrontés ces dernières années, à une série de coups d’États. Pour évoquer les sujets brulants de cette région, Sahel Kunafoni s’est entretenu avec Ballan Diakité. Il est Politologue-chercheur. Dans cet entretien exclusif, M. Diakité propose entre autres une recette afin de mettre fin à la crise de confiance entre la classe politique et la société civile africaine. Il s’agit d’un mécanisme permettant de stopper cette vague de coups d’État qui se propage comme un virus. Monsieur Diakité invite tout de même la Cédéao à opter pour l’option diplomatique par rapport à la situation actuelle du Niger. Nous vous invitons à lire l’intégralité de notre entretien.

Sahel Kunafoni : depuis 2020, la région ouest-africaine est confrontée à une série de coups d’État, dont le dernier remonte au 26 juillet dernier, au Niger. S’agit-il d’un effet de mode ou des méfaits de la crise sécuritaire combinés à la mauvaise gouvernance ?

Ballan Diakité : je dirais que ce sont les deux, en même temps. Parce qu’on sait bien évidemment que depuis presque dix ans, le Sahel est confronté à une crise sécuritaire. Et quand on parle du Sahel, on touche principalement au Mali, au Burkina Faso, également au Niger, qui sont les trois pays frontaliers de Liptako gourma. En effet, je pense que les coups d’État relèvent bien évidemment de cette crise sécuritaire qui est là et que nos États ont du mal à gérer. Mais au-delà de cela, je dirais que c’est aussi devenu un effet de mode. Parce qu’on a vu que le cas malien a provoqué bien évidemment des effets domino dans la mesure où les pays voisins ont remarqué que la Cédéao est dans l’incapacité aujourd’hui, tel que cette organisation elle-même est organisée et fonctionne.

Aujourd’hui, la Cédéao n’a pas nécessairement tous les moyens d’empêcher à ce qu’un coup d’État survient dans un pays membre. Le cas malien a montré bien évidemment que la Cédéao dans ses mécanismes de riposte face à des coups d’État est très limitée. Je dirais que c’est à la fois un effet de mode et aussi bien évidemment les conséquences de cette crise sécuritaire liée au terrorisme que nos États ont du mal à gérer. Et le fait que c’est un effet de mode est lié à l’incapacité de la Cédéao de faire face aux défis démocratiques en Afrique de l’Ouest. Mais au-delà de cela, on peut aussi dire que ces coups d’État surviennent parce que le Sahel est devenu aujourd’hui un enjeu international compte tenu du nouvel ordre qui est en train de se mettre en place. Les États ouest-africains, en tout cas, les leadeurs ont compris que beaucoup de choses peuvent se passer en Afrique, notamment au Sahel, qui est devenu un enjeu géopolitique. Donc, tous ces mouvements font qu’il y a bien évidemment ces coups d’État, qui peuvent s’expliquer effectivement par cet enjeu géopolitique auquel fait face le Sahel actuellement.

Ces coups d’État ne sont-ils pas aussi une preuve de désuétude de ces classes politiques qui parlent plus que n’agissent ?

L’incapacité des leadeurs politiques à répondre favorablement aux demandes sociales ne doit pas être une excuse pour faire un coup d’État. Je pense que ces coups d’État sont beaucoup plus liés au contexte géopolitique et le contexte international actuel. Sinon je ne crois pas vraiment qu’ils soient liés au fait que les hommes politiques n’agissent pas. C’est vrai que nos attentes ne sont pas satisfaites à la hauteur de souhait quand on est citoyen. Mais cela ne veut pas dire que ceux qui sont au-devant des affaires ne travaillent pas du tout. Ce n’est pas du tout cela. Et même si c’était le cas, dans un régime démocratique, je pense qu’il y a des voies (élections, les pétitions, les référendums) qui peuvent être mises en œuvre afin de permettre aux citoyens de faire prévaloir leur sentiment en ce qui concerne la gestion des affaires publiques sans que l’on passe bien évidemment par des coups d’État. Donc à mon avis, les coups d’État ne peuvent pas se justifier par l’inaction des hommes politiques, surtout dans un régime démocratique.

Quel regard portez-vous sur le rapprochement actuel du Mali au Burkina Faso et au Niger, trois pays sahéliens profondément affectés par le terrorisme ?

C’est vrai que ces derniers temps, on voit bien évidemment que le Mali, le Burkina Faso et le Niger se rapprochent. Mais on a vu l’axe Bamako-Conakry-Ouaga se développer d’abord. Et il y avait un dynamisme réel pour permettre à ces trois pays de coopérer dans plusieurs domaines, notamment la sécurité et le développement économique. Aujourd’hui, avec le coup d’État au Niger, il y a effectivement un réel rapprochement qui s’explique d’abord par l’uniforme. Parce que n’oublions pas qu’au Mali, en Guinée, au Burkina Faso comme au Niger actuellement, ce sont des militaires qui sont au pouvoir. Donc ce rapprochement s’explique d’abord par l’uniforme que les autorités des quatre pays partagent en commun. Deuxième élément, c’est que ce rapprochement entre ces pays s’explique aussi par la volonté de l’ensemble de ces États de former un bloc commun face d’une part à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et aussi à toutes les puissances étrangères qui ne sont pas vraiment dans leur dynamique. À mon avis, c’est la volonté de constituer un bloc commun et résister ensemble face aux attaques qui peuvent venir de l’étranger tant diplomatique que militaire que ces pays-là sont en train de renforcer leurs liens.

Le dernier coup d’État au Niger a fait couler beaucoup d’encre au point que la Cédéao envisagerait une intervention militaire dans ce pays en vue de rétablir l’ordre constitutionnel. Quelle appréciation faites-vous de cette décision de la Cédéao ? En cas d’intervention militaire dans la région ouest-africaine, à quelles conséquences faut-il s’attendre ?

Je pense que la Cédéao est beaucoup plus dans la posture d’intimider les autorités actuelles du Niger, de sorte que le président déchu, Mohamed Bazoum puisse recouvrer la liberté et être relâché des mains de ceux qui font de lui un prisonnier actuellement. À mon avis, la Cédéao est beaucoup plus dans une logique d’intimidation qu’autre chose. Elle n’a pas actuellement les moyens nécessaires pour une intervention militaire au Niger. N’oublions pas que la même question avait été soulevée depuis le coup d’État au Mali. La Cédéao avait menacé d’activer ses forces en attente pour imposer l’ordre constitutionnel au Mali. Mais depuis lors, jusqu’à maintenant, il n’y a pas d’avancée sur cette question au niveau de la Cédéao. L’effectivité de cette force n’a pas été réellement concrétisée dans les faits. 

Aujourd’hui, la Cédéao dépend d’ailleurs beaucoup plus de la contribution des États membres et également des financements qui peuvent venir des puissances étrangères, notamment de l’Union européenne et de la France. De ce fait, la Cédéao n’a pas une certaine autonomie ni financièrement ni militairement encore moins sur le plan de la logistique pour faire une intervention militaire actuellement au Niger.

Par ailleurs, ce serait aussi une très mauvaise chose de faire une intervention militaire au Niger dans la mesure où le Niger reste quand même un pays indépendant et souverain, même si la notion de souveraineté est à relativiser. De ce fait, la Cédéao peut prendre la décision de suspendre le Niger de toutes ses instances. Mais de là, faire une intervention militaire, ce serait une ingérence flagrante dans les affaires intérieures du Niger. Ce qu’il y a lieu de faire, c’est de prioriser la diplomatie et d’éviter de mettre de l’huile sur le feu. Parce qu’on sait bien évidemment qu’il y a beaucoup de mouvements dans le Sahel actuellement, la lutte contre le terrorisme, les menaces de faim et puis l’insécurité et les défis de démocratie. S’il faut à ces défis ajouter aussi une guerre régionale, je pense que ça va être très désastreux d’autant plus que le Mali et le Burkina Faso ont fait entendre que toute intervention militaire s’assimilerait à une déclaration de guerre. Cela veut dire que ces deux pays sont quand même prêts à mettre en œuvre tous les moyens pour apporter leur soutien aux autorités actuelles du Niger. Donc la Cédéao doit être beaucoup plus une organisation d’intégration, de communion entre les pays, mais pas un facteur de déstabilisation ou de destruction d’un pays.

À mon avis, une intervention militaire n’est pas une décision sage qu’il faudrait encourager. Il faut plutôt encourager la diplomatie et ensuite renforcer les mécanismes de prévention des crises de la Cédéao et renforcer cette Cédéao en termes de moyens et d’indépendance financière. Il faut aussi cultiver la culture de la démocratie et de l’alternance dans les différents pays de la Cédéao. Je pense que cela serait beaucoup plus profitable pour la Cédéao que de faire une intervention militaire à ce jour.

Comment faire aujourd’hui pour stopper cette vague de coup d’État qui se propage comme un virus ? Jusqu’où ce phénomène pourrait s’étendre ?

Quand il y a coup d’État dans un pays, cela veut dire déjà qu’il y a un problème, qui peut être un problème majeur comme mineur. Ces vagues de coup d’État nous interpellent sur le modèle de démocratie que nous avons en Afrique, qui est un modèle importé de l’extérieur. La démocratie électoraliste que nous avons importée de l’Europe a du mal même à fonctionner aujourd’hui en Europe. Donc quand on pense que la démocratie est uniquement la possibilité pour les citoyens de mettre un bulletin dans l’urne pour voter pour un candidat ou contre un candidat, on n’a rien compris dans la démocratie. La démocratie, c’est un travail de tous les jours. Il faudrait que les citoyens eux-mêmes se sentent concernés par la chose publique et que les dirigeants et/ou les élus se sentent dans l’obligation de redevabilité envers les citoyens. Ce sont ces choses-là qui manquent chez nous en Afrique. C’est un premier élément qui peut expliquer ces coups d’État. C’est-à-dire les défis de démocratie. 

Deuxième élément, c’est surtout la fragilité de nos institutions. Il y a autant de coups d’État parce que nos institutions sont très fragiles. Et puis seule l’Armée reste, en tout cas en Afrique francophone, la seule institution la mieux structurée de toutes les autres institutions de la République.Il faut donc renforcer les institutions, et quand on parle des institutions, ce n’est pas seulement le gouvernement, le parlement ou les mairies. Les institutions, c’est aussi les lois. Il faut prendre des bonnes lois, des lois qui vont dans le sens de l’intérêt supérieur de la Nation et non de l’intérêt de ceux qui gouvernement aujourd’hui, qui sont en réalité des gens qui sont de passage. Parce que les hommes passent, l’État demeure. Et face à cette réalité, il est important que les lois que l’on prenne dans nos pays soient le reflet d’un souci de préservation de l’intérêt supérieur de la Nation que toute autre chose. 

Troisièmement, il y a le fait que dans les pays, notamment francophones, il y a toujours ce mimétisme que nous avons de la France. On a imité tellement la France, tant dans notre façon de faire de la politique que dans notre façon de gouverner, qu’on s’est retrouvé finalement à imiter la cinquième République française.

Si les politiques doivent changer de discours aujourd’hui pour regagner la confiance des citoyens, quelle voie devraient-ils emprunter ?

C’est vrai qu’il y a une grande rupture aujourd’hui entre la classe politique et les citoyens. Cette rupture politique a finalement généré une crise de confiance entre les hommes politiques et la société civile. Je pense que pour résoudre ce problème de crise de confiance, il faudra à long terme miser sur l’éducation. Mais à court terme, il faut exiger des partis politiques de jouer pleinement leur rôle en termes d’éducation politique des citoyens. 

Les partis politiques ne peuvent pas éternellement bénéficier de la subvention de l’État, laquelle est généreuse par les impôts que les citoyens payent sans pour autant assumer leur rôle d’éducation politique des citoyens. Chaque parti politique qui ne fait pas de formation politique à l’endroit des citoyens ne doit pas bénéficier de subvention de l’État. C’est ce qu’il faut faire à court terme. Il faut aussi permettre à chaque candidat, que ce soit lors des élections présidentielles ou municipales, de présenter un programme de développement social et économique pour sa localité, de sorte que les citoyens puissent apprécier bien évidemment le contenu de leurs programmes.

Les programmes ne doivent pas être désormais dissimulés derrière de beaux discours. Il faut amener les hommes politiques à présenter des programmes de développement économique et social avant de se présenter ou lorsqu’ils se présentent comme candidats aux élections. Ceci va nous permettre de sortir de cette crise de confiance qui caractérise la relation entre les hommes politiques et les populations. Il faut également sensibiliser les citoyens sur leur rôle, leur devoir dans l’espace public et dans la vie politique de façon générale. Ces sensibilisations doivent se faire dans toutes les langues qui sont parlées et entendues dans nos différents pays. 

Je pense qu’avec la sensibilisation, l’éducation, la formation politique des partis politiques, l’obligation pour les partis politiques de présenter des programmes électoraux on pourra bien évidemment répondre efficacement à cette crise de confiance entre les hommes politiques et la société civile.

Propos recueillis et retranscrits par Bakary Fomba

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Diabate 11 août 2023 - 18 h 13 min

Que les forces armées soient républicaines
Le reste c’est du bavardage pour justifier les coups d’états

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