Au Mali, un florissant marché noir s’est constitué autour de la délivrance du permis de conduire. Ce qui représente un gros danger pour les usagers de la circulation routière. Enquête.
Les accidents de la circulation routière constituent un phénomène récurrent sur nos voies publiques. Au Mali, dix-mille-six-cent-quatorze cas d’accidents sont survenus en 2021, selon les chiffres de l’Agence nationale de la sécurité routière (ANASER), fournis à Sahel Tribune. Ce qui est en hausse par rapport au cas d’accidents enregistrés en 2020, qui s’élèvent à quatre-mille-deux-cent-soixante-un.
Ces accidents de la circulation routière ont fait neuf-mille-huit-cent-vingt-une victimes – 9085 blessés et 736 décès – en 2021 contre cinq-mille-huit-cent-quatre-vingt en 2020. Ces accidents résultent pour la plupart du comportement des usagers de la route. Parmi ces facteurs humains, il faut noter surtout l’inobservation et la non-maîtrise du Code de la route.
Or, la conduite des véhicules à 4 roues est tributaire à la détention d’un permis de conduire. « Nul ne doit conduire s’il n’est détenteur d’un permis. Et le permis doit correspondre à la catégorie de véhicule qu’on veut conduire », rappelle Fousseyni Traoré, chef de la division permis et autorisation de conduire à la direction régionale des transports terrestres et fluviaux du district de Bamako, où nous nous sommes rendus.
Procédure normale
Selon lui, l’obtention d’un permis de conduire A1, A2, B (poids légers) est subordonnée à la constitution d’une demande, dont le formulaire se trouve à la direction régionale des transports, un extrait d’acte de naissance, un certificat de résidence, quatre photos d’identité (fond blanc), peu importe la catégorie. S’il s’agit d’un Malien né à l’extérieur, précise-t-il, il devra ajouter un certificat de nationalité (malienne).
Pour le permis de conduire F – établi pour les candidats en situation de handicap et pouvant conduire, le véhicule est aménagé en conséquence – il faut ajouter la visite médicale devant être obtenue dans un centre agréé.
Cependant, « tout candidat aux catégories professionnelles (poids lourds) doit obligatoirement verser un certificat de visite médicale », pour attester qu’il n’a pas de problème mental et qu’il est apte à conduire. Les étrangers, qui résident au Mali pendant six mois, fournissent les mêmes documents. Mais ceux-ci ajoutent un certificat de travail ou de nationalité de leurs pays d’origine respectifs, a indiqué le chef de la division permis et autorisation de conduire à la direction régionale des transports terrestres et fluviaux du district de Bamako, Fousseyni Traoré.
Selon la législation malienne, qu’on peut lire sur le site du gouvernement, l’obtention du permis de conduire se fait par la présentation physique de l’usager au niveau de la direction régionale des transports, section permis de conduire, ou à la subdivision des transports au niveau local (Cercle). Si le candidat échoue une première fois à l’examen, il doit se représenter la semaine suivante. S’il échoue une deuxième fois, il doit se représenter dans un mois.
Après six tentatives, il reprend dans les conditions d’un nouveau candidat. Pour ce faire, le candidat doit être âgé d’au moins seize ans (pour les catégories de motos). Pour les véhicules poids légers et poids lourds, l’âge minimum requis reste dix-huit ans ou plus. Mais pour faire le transport en commun, il faut être détenteur du permis de poids lourd, un an après.
Les raccourcis
Dans le district de Bamako et certaines capitales régionales, l’obtention du permis de conduire est cependant devenu un objet de business pour certains. Beaucoup de chauffeurs et usagers préfèrent privilégier les raccourcis pour se le procurer, foulant ainsi la législation au pied. Autrement dit, ce processus de délivrance du permis de conduire est fréquent auprès des réseaux d’affairisme qui travaillent à violer la procédure normale pour en tirer profit.
C’est le cas de Mohamed (prénom modifié), jeune médecin basé à Kabala, au sud-est du district de Bamako. Il nous confie qu’il a réussi à obtenir son permis de conduire grâce à son grand-frère « sans pour autant être présent physiquement » pour les différentes épreuves. « Grâce à mon grand-frère, je suis détenteur d’un permis de conduire de plus de deux ans. Avec le temps, j’ai pu plus ou moins me perfectionner dans la conduite et la maitrise de la circulation », témoigne ce trentenaire.
« Au Mali, à quoi bon de gaspiller son temps dans une auto-école pour passer le permis de conduire ? Il faut juste apprendre à conduire à la maison, dans la rue, à travers des collègues, pour avoir les notions de base et l’argent peut régler le reste », martèle Lil Tchialé (nom emprunté), un jeune apprenti chauffeur de Sotrama (véhicule de transport commun) sur le tronçon Kalaban-Coro – Rail-Da (Centre commercial autour des rails). Il conduit très souvent les passagers en absence de son patron, mais avec son aval.
Pas d’échec
Au Mali, les examens de passage de permis de conduire se font généralement les mardis, pour le théorique ; et les mercredis, pour la pratique. Le candidat qui échoue l’examen théorique doit s’attendre à le reprendre avant de passer à la pratique. Mais dans certains centres d’examens comme celui de Fana et de Bougouni, les deux examens se font le même jour. Et, du coup, il n’est pas question d’échec dans ces centres.
« A Fana, il y a tout sauf ajournement », témoigne Dri (pseudonyme emprunté), qui a quitté Bamako pour y passer son examen. Ce dernier nous raconte avoir vu des gens qui ne savaient même pas tenir la direction du véhicule, mais qui ont « tous eu leurs permis de conduire ». Ce que nous avons pu constater sur le lieu.
Selon nos sources, dans ce centre de Fana, des promoteurs collectent généralement, le jour de l’examen, une certaine somme (2000 francs CFA par candidat), afin d’arranger leur examen auprès des inspecteurs venus pour l’évaluation. Or, le coût légal d’apprentissage pour l’obtention d’un permis de conduire (poids lourd) est de l’ordre de 150 000 francs CFA, et 110 000 francs CFA pour le poids léger. Et l’usager doit payer légalement 4 000 francs CFA pour chaque examen.
Nous avons été dans les locaux de l’Agence nationale de la sécurité routière (ANASER). Elle n’a pas souhaité se prononcer sur les possibles cas d’accidents liés au phénomène de permis de conduire.
Bakary Fomba
- Cet article d’enquête est écrit dans le cadre du projet Kenekanko de l’Observatoire citoyen contre l’impunité et pour la redevabilité – OCCIPRE, un consortium de Tuwindi, Amnesty International Mali et Free Press Unlimited (en partenariat avec la Délégation de l’Union européenne au Mali).
- Vous pouvez (re)lire aussi Mali : centre de visite technique des véhicules, véritable lieu de business [Enquête].
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