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Appel d’intellectuels maliens à Monsieur Ibrahim Boubacar KEITA, Président de la République du Mali

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Monsieur le Président,

Cela fait plusieurs mois que le contexte politique national se trouve bouleversé par une crise retentissante, entre les acteurs politiques maliens et qui est à l’origine des foyers de tension qui n’ont de cesse de s’embraser et de s’étendre. Les causes probables de cette crise émergent de la situation politique, sociale et économique déplorables, dans laquelle est englué notre pays depuis de nombreuses années et dont les grandes racines sont :

• l’insécurité totale dans laquelle vivent les populations maliennes dans les trois quarts du territoire, y compris, certaines parties de la région de Koulikoro englobant la capitale ;

• la déliquescence de secteurs relevant du pouvoir régalien de l’État comme la santé, l’éducation et la justice, mettant en danger le présent et le futur de la nation malienne ;

• l’impunité totale face à des cas avérés de vol, de gabegie et de détournement de deniers publics et du crédit de l’Etat (surfacturations du prix des marchés publics, bradage du patrimoine de l’État, rétrocession de commissions, fraudes douanières, économiques et fiscales etc.) ;

• l’opacité totale quant à l’utilisation des budgets destinés à la défense et la sécurité nationale, ainsi qu’ à l’acquisition de matériels militaires pour les forces de défense et de sécurité, dont les coûts, la qualité obsolète du matériel, de surcroit inopérant, ajouté à l’état de pauvreté et de dénuement de nos soldats envoyés littéralement pour être sacrifiés sur le théâtre des opérations ;

• l’inconscience ostentatoire d’une partie des élites, mêlée à la cupidité de la classe dirigeante actuellement au sommet de l’appareil d’État du pays qui s’attribue avantages indus sous forme de « caisses noires » est totalement inacceptable dans le contexte inquiétant d’un pays en crise.

Ce diagnostic, sur lequel il est inutile de s’étendre, est malheureusement partagé non seulement par ceux qui s’opposent à vous aujourd’hui mais également par vos propres supporteurs lorsqu’ils sont libres dans leur pensée. Sans compter les gens du culte, toutes religions et obédiences confondues. Ce sentiment et ce constat sont également les mêmes partagés par la communauté internationale et les amis du Mali, CEDEAO, Union africaine et Union européenne. D’ailleurs, Il ne peut en être autrement tant les nombreuses dislocations politiques, sociales et économiques crèvent les yeux et inquiètent et préoccupent au-delà du Mali.

Suivant nos premières observations, nous avons relevé un large fossé entre l’appréciation contrastée de la situation de notre pays, par une partie de la classe politique et les offres de solutions faites par d’autres, pour le règlement de la crise qui perdure.

Ce n’est pas rien, Monsieur le Président, d’attirer votre attention sur les cinq points cruciaux, précités. À nos yeux, ces points sont en décalage flagrant avec les engagements solennels que vous aviez, vous-mêmes, pris lors des campagnes en vue des élections de 2013 pour votre premier mandat et de 2018 pour le second.

C’est à ces occasions que le peuple du Mali vous a d’ailleurs accordé sa confiance en vous plébiscitant en 2013 avec près de 77% des voix. Dès lors, c’est bien à vous et essentiellement à vous qu’il incombe de trouver LA SOLUTION à la crise afin que le pays soit tiré d’affaire.

C’est pourquoi nous nous adressons directement à vous pour vous proposer quelques pistes de solutions. Nous sommes des intellectuels maliens, parlant chacun en son nom propre et sans affiliation partisane aucune ni à quelque organisation.

Il est devenu crucial que vous mettiez ces solutions en pratique.

À l’allure où vont les choses, tout porte à croire que, si rien n’est fait, les conséquences de cette crise finiront par avoir plus d’incidence sur l’unité et la cohésion sociales. En effet, aux milliers de maliens morts, ce que nous déplorons, tant au nord comme au centre du pays, vient s’ajouter plus de la dizaine de jeunes maliens, fauchés par des balles, dans les rues de Bamako, sans doute tirées par les forces dites de l’ordre, à l’occasion des dernières manifestations politiques, alors même que ces jeunes gens, à l’instar de tout le peuple malien, se battaient pour que nos soldats soient plutôt rétablis dans leurs droits les plus légitimes, au nombre desquels, le droit de disposer d’armes, de munitions et d’équipements militaires, nécessaires pour assurer la défense du territoire national et la sécurité des populations. Puissent leurs âmes reposer en paix ainsi que celles de tous les Maliens, civils et militaires, tombés sur le théâtre des opérations.

Monsieur le Président, force est de constater que vous y mettez souvent du temps pour réagir, surtout lorsqu’il s’agit de s’avancer pour prendre des décisions importantes. Ce fut le cas pour la mise en œuvre notamment de l’article 39 au profit des enseignants, intervenue seulement deux ans après et au terme de nombreux jours de grève ; il a été de même lorsqu’il s’est agi de constater l’inexistence de la Cour Constitutionnelle en raison de la défaillance de six membres sur les neuf.

Monsieur le Président, les dernières consultations électorales dans notre pays ont eu des incidences réelles sur la situation générale du pays et la crise qui le frappe. Le rôle de la Cour constitutionnelle a été fortement décrié au point que certains de ces membres se soient départis de leurs charges.

Parmi tous les facteurs cités plus haut, la déliquescence de l’institution judiciaire est de loin la plus dangereuse. Cette dernière n’a pas toujours été à même de jouer le rôle qui est le sien dans la société. Et l’absence ou l’ineffectivité de la justice est à l’origine des nombreuses autres ruptures dont les suites expliquent la situation actuelle.

Dans un tel contexte, seul le dialogue doit prévaloir et prendre le pas sur tout. La violence est insupportable et elle l’est encore plus lorsqu’elle provient de corps habillés.

Aujourd’hui, des vies ont été brisées, des corps blessés et mutilés, des familles endeuillées et des personnes sont enlevées dans tout le pays, séquestrées ou arrêtées et détenues dans des conditions infra humaines.

Monsieur le Président, nous avons estimé qu’il est de votre devoir de reprendre la main en tant que chef de l’État, pour exercer pleinement et entièrement vos prérogatives.

Il s’agira pour vous, dans un premier temps de :

1. faire ouvrir des enquêtes nécessaires pour situer les responsabilités des personnes qui sont à l’origine des coups de feu mortels ainsi que toutes celles qui ont donné l’ordre pour utiliser la « FORSAT » et disposer d’armes et de munitions pour tirer des coups de feu ; les présenter au juge compétent en vue de l’ouverture des procédures judiciaires immédiates, adéquates et, le cas échéant, des poursuites judiciaires ;

2. ordonner aux « FDS » de rallier leurs bases et d’y rester jusqu’à nouvel ordre.

Dans un second temps,

Vous inviterez les membres du « M5 RFP » à se joindre à nouveau à vous, autour d’une table, en vue de discuter et d’adopter les termes de leur mémorandum notamment les points spécifiquement relatifs à :

3. la dissolution de l’assemblée nationale ;

4. l’abrogation du Décret de nomination du Premier ministre ;

5. la nomination d’un nouveau Premier ministre et des membres du gouvernement, le tout, de manière consensuelle avec le « M5 RFP » ;

6. la mise en place préalable d’une commission chargée de l’audit des comptes et politiques publics de la nation ;

7. l’ouverture d’enquêtes judiciaires à l’encontre de toute personne impliquée ou susceptible d’être impliquée dans le détournement de deniers et de crédits publics.

Monsieur le Président, l’écriture de cette lettre que nous vous adressons est motivée par une conviction qui nous habite, chacun profondément. Pour nous, il est temps de revenir à la raison afin de sauvegarder les acquis de notre cher pays et de lui éviter la dislocation sociale et religieuse.

Vous ne pouvez ignorer plus longtemps que près de ¾ du territoire national ne sont pas toujours accessibles, en raison de ce que ces espaces sont soumis au joug des islamistes et des djihadistes. Or, ces terroristes ne sont qu’à une encablure de Bamako ! Einstein ne disait-il pas qu’ : « Il n’existe que deux choses infinies, l’univers et la bêtise humaine… mais pour l’univers, je n’ai pas de certitude absolue. » Ne donnez pas raison à Einstein.

Sachez mettre votre pays au-dessus de votre personne, sinon vous sacrifierez le premier !

Monsieur le Président, sauvez ce qui peut l’être encore, pendant qu’il est temps.

Faites l’histoire en acceptant de vous sacrifier pour le Mali. En cela, donnez du sens et de la suite à ce qui a été votre slogan d’antan : « Le Mali d’abord ».

Que Dieu vous inspire dans vos prises de décisions en ce moment crucial de l’existence notre patrie.

Bamako, le 19 juillet 2020

Signataires du texte original qui seul vaut :

1- Yachim MAIGA, Bamako, Mali ;

2- Mamadou Ismaila KONATE, Paris, France ;

3- Modibo DICKO, Bamako, Mali ;

4- Cheick Saidibou KONE, Bamako, Mali ;

5- Youba SOKONA, Genève, Suisse ;

6- Oumar NIANGADO, Bamako, Mali ;

7- Namakan KEITA, Atlanta, USA ;

8- Cheickna DOUMBIA, Rennes, France ;

9- Bamani SANOUSSI, Bamako, Mali ;

10- Seidina Oumar DICKO, Bamako, Mali ;

11- Fousseiny CAMARA, Paris, France ;

12- Mamadou Lamine DOUMBIA, Canada ;

13- Fad SEYDOU, Bamako, Mali ;

14- Aliou HAIDARA, Toronto, Canada ;

15- Abdoul Karim SYLLA, Atlanta, USA ;

16- Ali HOUDOU, Bamako, Mali ;

17- Minkaila HALIDOU, Kati, Mali ;

18- Anourou CISSE, Bamako, Mali ;

19- Oumar Djibrilla MAIGA, Bamako, Mali ;

20- Aboubacrine Assadeck Ag Hamahady, France ;

21- Seydou DABO, Francfort, Allemagne ;

22- Souleymane Alassane, Bamako, Mali ;

23- Solo NIARE, Paris, France ;

24- Bréma DICKO, Bamako, Mali ;

25- Alhassane GAOUKOYE, Bamako, Mali ;

26- Fodié TANDJIGORA, Bamako, Mali ;

27- Sadio KANTE, Neuily sur Marne, France ;

28- Abdoulaye TOURE, Moissy-Cramayel, France ;

29- Kadiatou COULIBALY, Bamako, Mali ;

30- Idrissa Yalcouye, Kinshasa, RD Congo

NB : Le texte de cette lettre sera, une fois publié, mis en ligne sous forme de pétition et ouvert et accessible à la signature de tous les maliens qui partagent son contenu.


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