Home Actualités Amnistie au Sénégal : Entre la paix politique et la quête de justice

Amnistie au Sénégal : Entre la paix politique et la quête de justice

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Au cœur de Dakar, sous la voute solennelle de l’Assemblée nationale, un murmure s’est élevé, montant crescendo pour devenir un vacarme de voix dissonantes. Ce n’est pas le son habituel d’une démocratie qui délibère, c’est plutôt le grondement d’une polémique qui divise la nation sénégalaise jusqu’à la moelle. La proposition de loi d’amnistie est sur la table, et avec elle, un dédale de questions éthiques, morales et judiciaires.

La paix politique, c’est l’argument massue brandi par les partisans de cette loi, initiée par le président Macky Sall. Une paix après le report de la présidentielle, un espace politique à pacifier – la noble intention se heurte pourtant à une réalité bien plus complexe. Les mots ‘amnistie’ et ‘justice’ semblent s’échanger des regards froids dans les couloirs du pouvoir, où le spectre de l’impunité commence à planer.

Mais que dire des homicides?

Que dire de cette journée du 6 mars 2024, où 80 députés se lèvent pour faire entendre leur voix? Chacun d’eux porteur d’un fragment de l’âme sénégalaise, chacun d’eux prêt à débattre d’un texte qui, selon ses détracteurs, pourrait étouffer la justice sous le coussin confortable de l’amnistie. Comment peut-on penser à la paix quand les larmes n’ont pas encore séché sur les joues des familles endeuillées, des victimes de la répression, des âmes meurtries ?

Amnesty International évoque une soixantaine de morts – des hommes dont les échos des pas ne résonneront plus dans les rues de Dakar, de Thies, de Touba. Et la loi d’amnistie semble dire : « Oublions, pour que le pays puisse avancer. » Mais comment avancer quand la justice n’a pas encore pris sa pleine mesure ? Lorsque le travail du juge n’a pas encore rendu un verdict pour ces décès ?

La ministre de la Justice, Aïssata Tall Sall, assure que l’amnistie ne couvrira pas les cas de torture ou de traitements dégradants. Mais que dire des homicides? Est-il donc si aisé de laisser au juge la décision ultime, alors que, depuis trois ans, les poursuites pour ces crimes dans le cadre des manifestations n’ont mené à rien ?

Le Sénégal retient son souffle

Les promesses de mécanismes d’indemnisation flottent dans l’air comme des feuilles portées par le vent, mais sans texte clair, elles paraissent aussi insaisissables que l’espoir de justice pour certains. Les opposants au projet de loi, les organisations de défense des droits de l’homme, scrutent les lignes entre les lignes, cherchant en vain une assurance de réparation.

L’abstention surprise des députés du Pastef a brouillé les cartes, laissant en suspens l’intention de leur vote. Et tandis que l’Assemblée attend la décision de la coalition Yewwi Askanwi, l’atmosphère se charge d’une tension presque palpable. Chaque vote est un poids, chaque décision peut faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. La majorité cherche ses 83 voix salvatrices pour faire adopter le texte, mais tout est ouvert, et le Sénégal retient son souffle.

À 12h40 TU, trois députés de l’opposition ont déjà pris position contre le texte, illustrant le fossé entre la quête de paix politique et le cri de la justice. Peut-être est-ce cela, la démocratie dans toute sa splendeur et toute sa difficulté : un lieu où la paix et la justice doivent trouver un chemin pour avancer ensemble, main dans la main, plutôt que de marcher l’une sur l’autre.

Chiencoro Diarra

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