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Afrique: les coups d’État ne sont plus des ruptures, mais les symptômes d’une fatigue institutionnelle

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De Bamako à Porto-Novo , de Niamey à Bissau, la demie-décennie 2020–2025 aura vu se lever une génération de militaires que d’aucuns disent « putschistes », mais que leurs partisans, dans les rues poussiéreuses des capitales africaines, appellent « refondateurs ».

Aux premières heures de ce dimanche 7 décembre, un groupe de militaires béninois est apparu à la télévision publique pour annoncer avoir « démis de ses fonctions » le président Patrice Talon, censé quitter le pouvoir en avril 2025 après dix années à la tête de l’État. Quelques heures plus tard, l’entourage du chef de l’État a toutefois assuré que la situation était « parfaitement sous contrôle » et que le président était sain et sauf. Dans un communiqué, le ministre de l’Intérieur, Alassane Seidou, a appelé la population « à vaquer sereinement à ses occupations ».

Depuis 2020, en Afrique, les militaires prennent généralement le pouvoir par les armes, souvent sans tirer un coup de feu, mais toujours au nom d’un même diagnostic : la faillite du modèle démocratique importé depuis les conférences nationales des années 1990.

Trente ans de multipartisme de façade, de scrutins verrouillés, d’alternances de clans sous les habits de la République. Trente ans de promesses trahies, d’élections « à la carte » et de présidents « élus » par la fraude, la fatigue ou la peur. Et quand l’État s’effrite, que l’école s’effondre et que les terroristes gagnent du terrain, le peuple se tourne vers ceux qui restent : les militaires.

Kati, Conakry, Ouagadougou : les nouvelles capitales de la colère

Tout commence à Kati, près de Bamako, ce 18 août 2020. Le président Ibrahim Boubacar Keïta, submergé par la colère populaire, est arrêté. En une nuit, un nom surgit : Assimi Goïta, visage impassible, discours clair. Les Maliens acclament.

Quelques mois plus tard, à Conakry, un autre colonel, Mamadi Doumbouya, renverse un Alpha Condé cramponné à son troisième mandat comme un naufragé à sa planche de salut. Puis vient Ouagadougou, où le capitaine Ibrahim Traoré s’empare du pouvoir dans un pays au bord du gouffre.

À chaque fois, la scène se répète : liesse populaire, promesses de refondation, drapeaux brandis, hymnes nationaux repris en chœur. Loin du cliché du putsch de palais, ces ruptures se veulent des soulèvements correctifs, une manière de reprendre la main sur un destin que les urnes truquées avaient confisqué.

Les démocraties d’apparat ont échoué

Qu’on le veuille ou non, ces coups d’État sont d’abord les enfants légitimes des échecs démocratiques africains. Depuis les années 1990, le continent a multiplié les constitutions taillées sur mesure, les troisièmes mandats, les parlements d’obéissance et les oppositions de façade.

Les urnes sont devenues des rituels sans foi, les peuples des figurants. Dans des pays comme la Guinée, le Gabon ou le Niger, la démocratie n’a pas échoué parce qu’elle a été trahie par les militaires, mais parce qu’elle a été épuisée par les civils.

À force de manipulations constitutionnelles, d’inégalités criantes et de promesses non tenues, les présidents « élus » ont perdu le droit moral de gouverner. Les armées n’ont fait, dans bien des cas, que ramasser les morceaux d’un édifice déjà en ruine.

Le retour des régimes de caserne

Du Mali au Bénin, de Niger à Guinée-Bissau, ils sont aujourd’hui sept États africains à être dirigés, ou en phase de l’être, par des régimes militaires assumés. Ce n’est pas un hasard, ces pays sont aussi ceux où la colère sociale et la désillusion démocratique ont été les plus fortes.

Dans le Sahel, les militaires se posent en boucliers contre le terrorisme et en gardiens d’une souveraineté malmenée. À Niamey, à Bamako, à Ouagadougou, le rejet de la tutelle française et la recherche de nouveaux partenaires – souvent russes, chinois ou turc – traduisent une aspiration à reprendre le contrôle d’un destin confisqué par les injonctions extérieures.

Les dirigeants militaires au sahel n’ont pas inventé la rhétorique souverainiste. Elles la traduisent en actes, parfois maladroitement, souvent brutalement, mais toujours avec cette conviction que la dignité nationale vaut mieux que la dépendance assistée.

L’Afrique des militaires, miroir des peuples

Ce que les observateurs occidentaux appellent « régression autoritaire », vu d’Afrique, c’est plutôt une révolution silencieuse contre la fatigue démocratique.

Le peuple applaudit quand les militaires renversent un président jugé corrompu, incompétent ou illégitime, parce qu’il voit dans l’uniforme non pas la menace, mais le dernier rempart contre la faillite.

Dans les rues de Bamako, de Conakry ou de Libreville, les drapeaux brandis ne sont pas ceux de la nostalgie, mais ceux de la revanche. « Enfin des hommes qui osent », disent les foules. Et si l’histoire nous a appris que les régimes de caserne ne sont jamais des havres de liberté, elle nous enseigne aussi que les démocraties sans justice ni résultats sont les meilleures écoles du désordre.

Un tournant générationnel et symbolique

Cette nouvelle génération d’officiers – Goïta, Traoré, Doumbouya, Tchiani, Nguema – n’a ni le verbe idéologique de Nkrumah ni la verve socialiste d’un Sankara. Mais elle partage une même conviction, celui d’avoir la ferme conviction que le salut du continent ne viendra pas des urnes corrompues, mais de la reconstruction morale et souveraine de l’État.

Ils se disent temporaires, mais rêvent d’inscrire leurs noms dans l’histoire. Leurs transitions s’allongent, leurs discours se durcissent, leurs alliances se diversifient. Et pendant ce temps, les peuples oscillent entre espoir et inquiétude, lucidité et loyauté.

Ces coups d’État ne sont pas le triomphe des armes sur la démocratie, mais la revanche de la souveraineté sur l’impuissance institutionnelle. Leur message, qu’on l’aime ou qu’on le craigne, est limpide : l’Afrique n’acceptera plus de se contenter d’urnes sans justice, de républiques de façade et d’élites déconnectées.

Les militaires ne sont pas les sauveurs d’un continent, mais le symptôme d’une maladie plus ancienne : celle de démocraties mal enracinées, trop vite célébrées, trop mal construites.

La démocratie telle qu’on la connaît n’a pas échoué par manque d’élections, mais par manque de résultats. Et quand les urnes mentent, le bruit des bottes devient le cri de ceux qu’on n’écoute plus.

A.D


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