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80 ans de multilatéralisme, et puis quoi ? Le Burkina pose la question qui fâche

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À la tribune de l’ONU, le Premier ministre burkinabè Jean-Emmanuel Ouédraogo a livré un réquisitoire sans fard contre une organisation jugée impuissante et partiale. Dans son discours, l’ombre de Thomas Sankara affleurait, quarante ans après son propre passage au même pupitre.


Du haut de la tribune new-yorkaise, le Premier ministre burkinabè, Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo, n’a pas prononcé un discours. Il a livré un réquisitoire. Contre l’ONU, contre le Conseil de sécurité, contre la démocratie d’exportation, contre les hypocrisies du système international. À la 80e Assemblée générale, le Burkina Faso n’est pas venu quémander des aides ni réciter les mantras du multilatéralisme. Il est venu affirmer une chose simple : « La patrie ou la mort, nous vaincrons », dévise du Burkina Faso.

Un discours à la kalachnikov verbale

À ceux qui s’attendaient à un discours policé, calibré pour ne froisser personne, Ouédraogo a répondu par un coup de semonce diplomatique. Ton grave, vocabulaire tranchant, formules ciselées : « fiasco embarrassant », « désillusion collective », « naufrage structurel ». C’est ainsi que le Burkina Faso résume les 80 années d’existence de l’ONU. Pas de demi-mesure, pas de langue de bois : la parole burkinabè se veut radicale, voire séditieuse, mais ancrée dans une réalité géopolitique que l’Occident feint de ne pas voir.

À travers le prisme burkinabè, l’ONU n’est plus qu’un théâtre désuet, où les grandes puissances jouent leur partition d’intérêts sous couvert de paix mondiale. Le Conseil de sécurité ? « Une entreprise funeste », selon les mots du Premier ministre, gangrenée par la paralysie, la politisation et la duplicité de ses membres permanents. Une institution devenue incapable de régler les conflits, mais habile à imposer des missions de maintien de la paix qui « laissent davantage de frustrations que de résultats ».

Du multilatéralisme à la souveraineté armée

Mais derrière la critique, il y a un projet. Celui du Burkina Faso nouveau, résilient, debout, enraciné dans l’histoire et la géographie de son combat sahélien. Dans ce récit, le capitaine Ibrahim Traoré n’est pas un putschiste. Il est un refondateur. Un héritier de Sankara, de Lumumba, de Nkrumah. Le Burkina, dit-on, ne s’oppose pas au monde. Il s’affranchit de ses chaînes.

Rappelant que « plus de 72 % du territoire a été reconquis », Ouédraogo déroule les jalons d’un État qui a choisi de se prendre en main. Le Fonds de soutien patriotique, symbole de mobilisation endogène, a déjà récolté 413 milliards de FCFA. L’armée nationale, épaulée par les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), devient l’épine dorsale d’un peuple en guerre pour sa survie, mais aussi pour sa souveraineté.

Le message est clair : « Nos choix ne sont pas négociables. » À l’heure des critiques sur les droits humains, le Burkina ne courbe plus l’échine. À ceux qui l’accusent de dérives, il répond par les chiffres, la terre reconquise, les déplacés qui reviennent, les écoles qui rouvrent.

AES : le laboratoire d’un autre panafricanisme

Dans cette grammaire politique, le Burkina Faso ne parle pas seul. Il parle au nom de l’AES, cette Confédération des États du Sahel (Mali, Burkina, Niger), conçue comme un contre-modèle à la CEDEAO, jugée trop inféodée à l’ordre occidental. Passeport unifié, souveraineté réaffirmée : l’AES est à la fois un bouclier et un projet civilisationnel. « Ce n’est pas un repli. C’est un choix de dignité », martèle Ouédraogo.

Et si certains doutaient encore de la cohérence de cette alliance militaire et politique, le discours burkinabè en fixe les contours : non-alignement assumé, alliance tactique avec la Russie, soutien ouvert au Venezuela, à l’Iran et aux autres États sous sanctions occidentales. À l’ONU, le Burkina n’a pas seulement parlé de sa sécurité. Il a posé un acte de solidarité sud-sud, revisitant les codes du panafricanisme et du tiers-mondisme des années 1970.

La guerre informationnelle et la rupture avec l’Occident

Rien n’a été laissé au hasard. Même les mots sont choisis pour cogner. Quand Ouédraogo évoque les « terroristes financés par d’autres États », il ne tourne pas autour du pot. Il accuse nommément la France de complicité. Les médias publics français sont taxés de relais de propagande terroriste. Une ligne rouge franchie ? Peut-être. Mais dans cette rhétorique de guerre, la rupture est déjà consommée.

Ce n’est pas seulement une guerre sur le terrain. C’est une guerre de narratif, une bataille culturelle, une reconquête idéologique. Le Burkina Faso affirme qu’il refuse désormais que d’autres racontent son histoire à sa place. « L’ONU est en train de ressembler à la Société des Nations », lâche Ouédraogo. Entendez : une organisation moribonde, incapable de faire respecter ses propres principes, au bord de l’effondrement.

Vers une autre modernité politique africaine ?

Au fond, le Burkina Faso ne rejette pas la démocratie. Il rejette cette démocratie – imposée, mimétique, inefficace. Il propose autre chose : une gouvernance enracinée, fondée sur le volontarisme national, la légitimité populaire et la souveraineté assumée. Une gouvernance qui ne s’excuse plus d’être ce qu’elle est.

L’Afrique, nous dit le Burkina, n’est plus ce continent à infantiliser, à tutorer, à corriger. Elle se refonde, elle expérimente, elle dérange.

Chiencoro Diarra 


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