À Bamako, l’Autorité de gestion des réparations en faveur des victimes des crises au Mali (AGRV) et le Fonds au profit des victimes de la Cour pénale internationale ont engagé un dialogue stratégique inédit. Entre capitalisation des acquis et vision partagée d’une justice réparatrice, les deux structures posent les fondations d’une coopération renforcée. Une dynamique qui place l’AGRV au cœur de l’architecture malienne de la paix, dans une volonté assumée de rendre justice aux oubliés des conflits.
Dans la chaleur discrète d’un mois de mai à Bamako, loin des feux de la rampe, mais au cœur des cicatrices encore vives du Mali contemporain, une rencontre d’une rare intensité politique et humaine s’est tenue ce 21 mai 2025 dans les locaux de l’Autorité de gestion des réparations en faveur des victimes des crises au Mali (AGRV). Représentant une nouvelle génération d’institutions maliennes nées de la volonté de soigner les plaies du passé, l’AGRV a accueilli une délégation de marque : celle du Fonds au profit des victimes de la Cour pénale internationale (CPI), conduite par Aude Le Goff, Responsable des Programmes.
Objectif : jeter les bases d’une collaboration stratégique, dans un moment-clé où justice nationale et justice internationale cherchent à s’accorder pour redonner sens au mot réparation.
Une institution malienne au mandat structurant
Créée par l’Ordonnance n° 2023-016 du 28 mars 2023, l’AGRV est une autorité administrative indépendante, placée auprès du ministre en charge de la Réconciliation nationale. Elle bénéficie d’une autonomie de gestion et d’une indépendance institutionnelle, symboles de sa légitimité dans l’espace politico-juridique malien.
Sa mission est d’envergure : assurer la gestion des réparations des préjudices causés par les violations graves des droits de l’Homme, survenues au Mali depuis 1960. Cela inclut l’identification des victimes civiles et militaires, l’évaluation des préjudices, la détermination et l’allocation des réparations financières ou symboliques, ainsi que le suivi de leur mise en œuvre.
À la tête de cette architecture, trois organes clés : un Comité d’Orientation (organe délibérant), un Secrétariat exécutif, conduit par Sidi Almoctar Oumar, épaulé par le colonel Malado Amadou Keïta, un Comité de Gestion (consultatif)
Les actifs de l’ancienne Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) ont été transférés à l’AGRV, garantissant la continuité du processus de réparation au Mali. Aujourd’hui, l’Autorité est à pied d’œuvre pour déployer ses outils de gestion, allant de la fiche d’identification des victimes au plan de passation des dépenses.
Un dialogue stratégique avec la CPI
Dans cet élan, la rencontre avec le Fonds au profit des victimes de la CPI s’inscrivait dans une volonté claire de capitalisation des acquis et de partage d’expertise. La délégation internationale a salué les avancées de l’AGRV, notamment son ancrage institutionnel et sa capacité à porter le processus de réparation à l’échelle nationale.
Le Fonds, pour sa part, a présenté le bilan du programme Al Mahdi, axé sur la réparation des victimes de la destruction des mausolées de Tombouctou. Ce programme a permis : l’indemnisation de 1 691 victimes, l’inauguration du mémorial Louha, la réhabilitation de sites emblématiques et le financement de 31 projets communautaires.
Mais déjà, l’avenir se joue ailleurs, autour de l’affaire Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud, reconnu coupable de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. La CPI s’apprête à lancer un nouveau programme de réparation, pour lequel le Fonds souhaite mobiliser le concours de l’AGRV dans la levée de fonds et l’implémentation sur le terrain.
Vers une justice malienne ancrée et souveraine
Au-delà de la coopération, ce dialogue marque aussi la montée en puissance de l’AGRV comme acteur de justice nationale, capable de travailler aux côtés d’institutions internationales, tout en affirmant la souveraineté du Mali dans la gestion de sa propre mémoire collective.
Les deux parties ont exprimé leur volonté de créer un cadre pérenne de concertation, fondé sur le principe de complémentarité inscrit dans le Statut de Rome, et sur une approche holistique de la réparation : judiciaire, symbolique, communautaire.
Un espoir pour les victimes, un signal pour l’avenir
Dans un pays où la paix ne se décrète pas, mais se construit, l’AGRV s’impose aujourd’hui comme l’épine dorsale du processus de réparation, héritière de la CVJR, mais pleinement actrice de son temps. Soutenue par l’État, ouverte aux partenaires, connectée à la réalité des victimes, elle incarne une nouvelle approche de la justice post-conflit au Mali.
Et à Bamako, ce 21 mai, ce n’est pas seulement un partenariat qui s’est dessiné, mais une ambition partagée de rendre irréversiblement justice à ceux que l’Histoire a trop souvent laissés de côté.
Réparer, disent-ils. À Bamako, ce jour-là, c’est un mot qui a trouvé chair, regard, et projet. Et pour les victimes des crises maliennes, l’AGRV continue de porter une promesse rare : celle d’un État qui, enfin, les voit, les écoute — et agit.
A.D
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