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Vers une réconciliation franco-algérienne ?

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La visite du président Macron en Algérie du 25 au 27 août 2022 a eu pour but de reconstruire du lien avec ce pays qui occupe une place à part dans l’histoire française.

La relation bilatérale s’était en effet nettement dégradée ces dernières années, en dépit des nombreux gestes mémoriels accomplis par Paris à la suite des préconisations du rapport Stora, la France ayant notamment reconnu des faits de torture et de disparitions forcées pendant la guerre d’Algérie, ainsi que le massacre des Algériens à Paris lors de la manifestation du FLN du 17 octobre 1961.

Cette dégradation s’expliquait notamment par des propos tenus par Emmanuel Macron le 30 septembre 2021 sur l’inexistence de la nation algérienne avant la colonisation française, qui avaient entraîné le rappel de l’ambassadeur algérien à Paris pendant plusieurs mois et l’interdiction du survol du territoire algérien par les avions militaires français pour se rendre au Mali ou au Niger.

Il reste que la France et l’Algérie ont toutes deux intérêt à protéger cette relation privilégiée.

Une émancipation partielle de l’Algérie vis-à-vis de la France

Rappelons d’abord que la perte d’influence de la France en Algérie est un phénomène que l’on observe depuis longtemps et qui n’est pas imputable au président Macron.

La France est depuis maintenant des décennies concurrencée en Afrique et, en particulier, en Algérie, par des puissances émergentes. La deuxième puissance mondiale, la Chine, l’a supplantée comme premier partenaire commercial de l’Algérie. La Turquie s’affirme également en Algérie, elle qui est héritière de l’Empire ottoman, qui avait exercé sa domination en Algérie avant la conquête française en 1830. Quant à la Russie, elle est le principal fournisseur d’armes de l’Algérie depuis 1962. Mais elle vend aussi des armes au Maroc, notamment des chars et des véhicules blindés.

Les Français ont perdu de gros contrats. Suez ne gère plus l’eau à Alger. Aéroports de Paris a perdu le contrat de management de l’aéroport d’Alger, qui s’est récemment agrandi. La RATP n’est plus en charge du fonctionnement du métro d’Alger. Le français comme langue étrangère est également en perte de vitesse en Algérie par rapport à l’anglais.

Toutefois, l’Algérie ne peut se passer de la France et de l’Union européenne. Le pays subit actuellement un relatif isolement. Alger a quand même des alliés dans la région, notamment en la personne du président tunisien Kais Saïed, qui affiche de plus en plus son adhésion au nationalisme arabe. Mais elle voit d’un mauvais œil les ingérences en Libye de l’Égypte et des Émirats arabes unis, qui sont des soutiens importants du maréchal Haftar, très puissant en Cyrénaïque. L’Algérie est en effet trés soucieuse de protéger ses vastes frontières, et cherche à les défendre tout en maintenant sa doctrine traditionnelle de non-intervention en dehors de son territoire.

Son relatif isolement actuel a été suscité par les accords d’Abraham du 15 septembre 2020, qui ont entraîné une normalisation des relations entre Israël et certains pays arabes, dont le Maroc, qui a reconnu l’État israélien.

En contrepartie, les États-Unis ont reconnu la marocanité du Sahara occidental, ce qui va à l’encontre de la position de l’Algérie, qui soutient le combat du Front Polisario pour le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. Madrid a également reconnu la marocanité du Sahara occidental, ce qui a fortement déplu à Alger qui a cessé ses livraisons de gaz à l’Espagne à travers le gazoduc Maghreb Europe, qui transite par le Maroc.

Alors que, du fait de la guerre en Ukraine, les livraisons de gaz russe aux pays de l’UE devraient baisser significativement, l’Algérie peut-elle prendre le relais de Moscou en la matière ? Pour l’heure, 8 % à 9 % du gaz consommé en France provient d’Algérie. Le gaz algérien arrive en France soit par gazoduc via des interconnexions gazières avec des pays européens, soit par transport maritime via le GNL (gaz naturel liquéfié). Un certain nombre de problèmes techniques doivent être réglés entre Français et Algériens pour permettre l’augmentation de ces livraisons.

Emmanuel Macron ne semble pas être un partisan du gazoduc Midcat,

qui relierait l’Espagne à la France et qui permettrait d’augmenter les livraisons de gaz algérien transitant actuellement par le gazoduc Medgaz. Une solution envisageable passerait par la construction d’un terminal flottant de gaz liquéfié au Havre. Les choses sont plus faciles avec l’Italie : Alger a augmenté ses livraisons de gaz aux Italiens via le gazoduc Transmed qui va de Hassi R’Mel en Algérie jusqu’à Bologne en transitant par la Sicile et la Tunisie.

Le rôle de l’Algérie dans le conflit malien et les intérêts stratégiques français

Le partenariat renouvelé entre la France et l’Algérie revêt dans ces conditions un caractère stratégique. Les Français ont besoin d’Alger du fait des enjeux sécuritaires de la bande saharo-sahélienne, surtout après le départ de leurs troupes du Mali dont la présence suscitait le rejet de l’opinion publique malienne.

En effet, Alger a patronné les accords d’Alger signés en mai 2015 entre le gouvernement algérien et la rébellion touareg de la Coordination des mouvements touaregs de l’Azawad, qui n’ont d’ailleurs pas permis de ramener la paix dans la région en raison de la prolifération des milices, de leur désarmement différé et de la distinction artificielle entre rebellions touaregs séparatistes et djihadistes.

Les Algériens entretiennent aussi de très bonnes relations avec la junte malienne au pouvoir à Bamako, qui est très hostile à la France, préférant les mercenaires russes à la force Barkhane.

Les Français ont besoin des Algériens pour redéfinir leurs relations avec le Sahel et ont un ennemi commun les djihadistes du GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), dirigé par le chef touareg radicalisé Iyad Ag Ghali, ancien milicien au service du colonel Kadhafi. Il a fait allégeance à Al-Qaida au Maghreb islamique, dirigée par l’Algérien Abou Oubaïda Yousef al-Annabi, un ancien du GIA (Groupement islamique armé). Iyad Ad Ghali s’est allié aux djihadistes peuls de la katîba Macina. Le GSIM, désormais actif dans le centre du Mali, avec des possibilités de frappe dans le sud du pays, représente une menace pour toute l’Afrique de l’Ouest où la France conserve des intérêts, et une menace moindre – pour le moment – pour l’Algérie.

Concernant l’approfondissement des relations économiques, l’Algérie est demandeuse d’investissements plus productifs des entreprises françaises et de transferts de technologies, notamment dans le secteur énergétique, dans le domaine des énergies renouvelables avec l’énergie solaire et dans les hautes technologies. Elle souhaite une diversification des investissements français en Algérie.

Le poids du passé colonial

Les relations franco-algériennes sont évidemment aussi une affaire intérieure en France. Emmanuel Macron a annoncé durant son séjour la transition vers une immigration algérienne choisie de travailleurs qualifiés et d’étudiants. Cette immigration choisie a déjà commencé dans les faits avec l’installation en France de nombreux médecins généralistes algériens et ingénieurs informaticiens issus de grandes écoles et d’universités algériennes.

Cette politique d’immigration sélective peut entraîner des effets négatifs pour le développement algérien du fait de la fuite des cerveaux qu’elle représente pour le pays de départ. Paris ne semble plus vouloir des anciennes migrations algériennes de travailleurs peu qualifiés. Pourtant, ces populations ont bien participé à la construction de la France depuis la Première Guerre mondiale jusqu’à nos jours.

Approfondir la relation franco-algérienne nécessite d’aplanir les maux hérités du passé colonial et de la guerre qui sont à l’origine de notre relation si forte et si particulière avec l’Algérie. Pendant sa visite à Alger, les présidents Macron et Tebboune ont annoncé la création d’une commission mixte d’historiens français et algériens pour établir ensemble les faits. À noter que le rapport Stora de 2021 ne recommandait que la nomination d’une commission d’historiens sur les massacres d’Oran, et pas une commission d’historiens compétente globalement.

Les travaux produits par cette nouvelle commission d’historiens, si elle voit effectivement le jour, pourraient légitimer la reconnaissance par la France des crimes de la colonisation – même s’il est peu probable que le président français réitère les propos qu’il avait tenus en 2017 en tant que candidat, quand il avait évoqué les crimes contre l’humanité commis par la France en Algérie.

S’il refuse la repentance et ne veut pas prononcer les excuses officielles demandées par l’Algérie, une telle reconnaissance forte du passé par le pouvoir politique français, légitimée par un travail historique commun, pourrait toutefois être fondatrice d’une nouvelle relation avec l’Algérie, en levant les blocages à la coopération entre nos sociétés et en permettant aux jeunesses de nos deux pays d’envisager pleinement un avenir commun sans haine et sans rancune. Cette initiative est probablement une des dernières chances du président Macron, qui voudrait rester dans l’histoire comme le réconciliateur de la France et de l’Algérie.

Regarder la vérité historique en face, dans toute sa complexité

Si on ne peut que se réjouir de la prise de conscience du pouvoir politique français et algérien de la nécessité de passer de la mémoire à l’histoire, un processus d’ailleurs largement entamé dans les travaux de plusieurs générations d’historiens – qu’ils portent sur l’histoire des Algériens avant 1830, la conquête de l’Algérie, l’histoire de la colonisation française, la guerre d’Algérie et sa fin tragique avec les essais nucléaires français en Algérie, le massacre du 17 octobre 1961, l’abandon des harkis, les massacres d’Oran… –, une telle commission sera amenée à évoquer la douloureuse question des responsabilités étatiques au plus haut sommet de l’État.

Elle ne peut éluder la séquence de la fin de la guerre d’Algérie et devra affronter le regard de la statue de commandeur du général de Gaulle, le dernier grand homme d’État français du XXe siècle, sans oublier les non-dits de la mémoire officielle algérienne. Cette prise en compte globale de l’histoire franco-algérienne est indispensable pour deux nations condamnées dans tous les cas par cette même histoire traumatique à avoir un avenir commun.

Emmanuel Alcaraz, Docteur en histoire, Agrégé d’histoire géographie, Enseignant à Sorbonne Université, Chercheur associé à Mesopolhis(Sciences Po Aix UMR 7064)et à l’IRMC(Institut de recherches sur le Maghreb contemporain, CNRS), Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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