Le Togo semble de plus en plus déterminé à se rapprocher de l’Alliance des États du Sahel (AES), une confédération regroupant le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Ce virage diplomatique, porté par le ministre des Affaires étrangères Robert Dussey, s’inscrit à la croisée de plusieurs dynamiques, notamment la recherche de nouveaux partenariats régionaux, l’impératif sécuritaire et les manœuvres politiques internes.
Après une première annonce faite en janvier sur le plateau de Vox Africa, Robert Dussey a réaffirmé sur son compte officiel Facebook la volonté de son pays de rejoindre l’AES. Ce qui marque un tournant potentiel dans les équilibres régionaux et les dynamiques politiques en Afrique de l’Ouest. Il a qualifié cette décision de « stratégique », soulignant qu’elle pourrait « renforcer la coopération régionale et offrir un accès à la mer aux pays membres », tout en la décrivant comme une « démarche qui suscite l’intérêt et marque un tournant dans la politique africaine », sans toutefois préciser les étapes concrètes d’une adhésion officielle.
Un rapprochement économique stratégique
L’adhésion à l’AES offrirait au Togo des avantages économiques notables. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger étant enclavés, l’accès à l’océan Atlantique est crucial pour leurs échanges commerciaux. Or, les tensions croissantes avec la Côte d’Ivoire et le Bénin, accusés d’être trop alignés sur les intérêts occidentaux, poussent ces pays à diversifier leurs routes d’approvisionnement.
Le port de Lomé pourrait ainsi devenir un point d’accès stratégique pour les marchandises sahéliennes, renforçant la place du Togo comme plaque tournante des échanges régionaux. « Il y a l’espoir d’une solidarité économique : un accès au pétrole nigérien, des routes commerciales renouvelées », souligne l’analyste politique togolais Madi Djabakate. En intégrant l’AES, le Togo se positionnerait comme un maillon logistique clé, tout en dynamisant son économie portuaire.
Un enjeu sécuritaire crucial
Au-delà des intérêts économiques, les questions de sécurité pèsent lourd dans ce rapprochement. Le nord du Togo, frontalier du Burkina Faso, est de plus en plus exposé aux attaques djihadistes qui ravagent le Sahel depuis une décennie. Pour Lomé, une intégration à l’AES pourrait ouvrir la voie à une coopération militaire renforcée, grâce au partage de renseignements et à la mise en place d’opérations conjointes.
Les pays sahéliens ont récemment annoncé la création d’une force commune de 5 000 hommes pour lutter contre le terrorisme, un dispositif qui pourrait offrir au Togo des moyens supplémentaires pour protéger ses frontières. « Le Togo pourrait aussi y gagner une coopération militaire plus agile, des renseignements partagés avec des voisins », ajoute Djabakate.
Un alignement idéologique et politique
Mais au-delà des aspects économiques et sécuritaires, ce rapprochement porte aussi une forte dimension politique. L’AES incarne un courant souverainiste et panafricain qui séduit de plus en plus de dirigeants de la région, lassés des ingérences étrangères et des pressions occidentales.
Pour le président togolais Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, cette posture pourrait également servir de levier politique interne. En adoptant une rhétorique panafricaine, il renforce son image de leader souverainiste et s’assure un soutien populaire dans un contexte où le panafricanisme prend de l’ampleur. Certains observateurs y voient toutefois une manœuvre pour asseoir sa longévité au pouvoir.
Une CEDEAO fragilisée
L’hypothèse d’un rapprochement avec l’AES suscite également des interrogations quant à l’avenir de la Cedeao. Le départ des trois pays sahéliens a déjà porté un coup dur à l’organisation, accusée d’inefficacité face au djihadisme et de servir les intérêts des anciennes puissances coloniales. Si le Togo venait à rejoindre cette alliance, cela fragiliserait encore davantage une institution régionale déjà en crise.
« Pour la CEDEAO, l’adhésion du Togo à l’AES serait une accélération de sa désintégration. En tout cas, cela aggraverait sa situation déjà précaire », analyse Seidik Abba, président du Centre international d’études et de réflexions sur le Sahel. Pourtant, d’autres experts estiment que Lomé ne cherche pas nécessairement à rompre avec la CEDEAO, mais plutôt à diversifier ses alliances. « Les alliances ne sont pas des mariages, mais des partenariats. Le Togo ne tourne pas le dos à la CEDEAO. Comment le pourrait-il, alors que le port de Lomé est une artère vitale pour toute une région ? Il s’agit plutôt d’une stratégie de ‘en-même-temps’ : rester ancré dans une institution historique tout en explorant de nouvelles voies », nuance Madi Djabakate.
Une recomposition régionale en marche
Ainsi, le rapprochement du Togo avec l’AES illustre une recomposition profonde des alliances en Afrique de l’Ouest. Entre quête de sécurité, ambitions économiques et affinités politiques, Lomé semble vouloir jouer sur plusieurs tableaux pour maximiser ses intérêts. Reste à voir si ce pari stratégique renforcera le poids du Togo dans la région ou s’il contribuera à creuser encore davantage les fractures au sein de l’espace ouest-africain.
Ce qui est certain, c’est que ce mouvement redessine les équilibres régionaux et pourrait accélérer la montée en puissance d’un nouveau pôle d’influence centré autour de l’AES. Pour le Togo, l’heure est à la manœuvre diplomatique, entre ambitions souverainistes et réalités géopolitiques complexes.
Ibrahim Kalifa Djitteye
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