Pour mieux faire face aux crises multidimensionnelles que traverse le monde, l’écrivaine Aïcha Yatabary invite à promouvoir un nouveau leadership politique en droite ligne avec les Objectifs de développement durable (ODD). Tribune.
Paul Kagamé est cité comme l’un des meilleurs dirigeants d’Afrique. C’est le seul chef d’État africain pour l’heure qui est capable de parler d’égal à égal avec les autres dirigeants de la planète. Il bénéficie encore d’une certaine aura sur l’échiquier international, malgré la prise de position de certains spécialistes des sciences politiques pour nuancer « le miracle rwandais ».
Ces réticences viennent notamment des chiffres relatifs à l’extrême pauvreté qui ne sont pas bons, et de l’entrave à certaines libertés individuelles au Rwanda (surtout concernant les opposants politiques). Mais Paul Kagamé demeure un dirigeant politique africain dont les résultats économiques et sociaux pour son pays sont cités en exemple dans le monde.
Responsabilité française
Au Rwanda, s’est déroulé l’une des pires horreurs de l’humanité : le génocide rwandais. Mais le pays a su se relever sous le leadership de l’homme à la poigne de fer. On peut dire qu’il était l’homme qu’il fallait à la place qu’il fallait, puisque c’est son leadership fort qui a permis de conduire certaines réformes et de relever les défis qui l’attendaient, à sa prise de pouvoir, notamment la réconciliation nationale. Paul Kagamé demeure en 2022 la personnalité préférée des Rwandais.
Kagamé n’était pourtant pas destiné à cette aura internationale puisque c’est à la tête d’une rébellion sanglante qu’il est arrivé au pouvoir au Rwanda. De plus, on ne peut pas dire que l’alternance démocratique soit une réalité dans ce pays puisque le chef d’État totalise à ce jour 22 ans de présidence à la tête de ce pays enclavé qu’est le Rwanda.
Par ailleurs, sa relation tumultueuse avec la France n’était pas pour lui garantir les succès diplomatiques qui sont les siens. Pourtant, en 2021, Emmanuel Macron s’est rendu au Rwanda pour une visite officielle. Il y a reconnu « la responsabilité de la France dans le génocide rwandais » et annoncé que l’ambassadeur français y serait de retour, après six ans d’absence.
Modèle de gouvernance
Pourquoi, malgré toutes ces zones d’ombre, Paul Kagamé rencontre un tel succès à l’échelle nationale et internationale ?
Grâce à son modèle de gouvernance qui place au premier plan des questions comme le genre, la santé publique et la protection de l’environnement, répondant ainsi à de nombreuses exigences en matière de bonne gouvernance. Exemple d’actions pour le genre : les femmes détiennent 40 % des portefeuilles ministériels et représentent plus de 60 % des députés. L’équité genre est inscrite dans la loi, à tel point que certains ont affirmé que le Rwanda est « un paradis pour les femmes ».
Pour ne citer que le genre en termes de bonne gouvernance attribuée à Paul Kagamé, nous dirons que l’équité basée sur le genre participe à la définition de nombreux indices dont l’indice Mo Ibrahim dans sa composante droits humains. Être un pays bien classé dans le monde grâce à ces indices permet d’augmenter la confiance des investisseurs et d’obtenir des financements.
Parmi les financements dont les États bénéficient et qui sont conditionnés par certains critères comme le genre, notons l’aide du Millennium Challenge Corporation, un fonds du gouvernement américain qui compte parmi ses critères une bonne politique en matière de genre.
Bien-être de la population
Ainsi, on peut être un militaire, arrivé au pouvoir grâce à une rébellion, s’y maintenir pendant plus de deux décennies et figurer parmi les dirigeants les plus fréquentables de la planète.
Le nouveau paradigme de gouvernance est axé sur le développement humain (qui prend en compte aussi bien la santé, l’environnement, l’éducation que les conditions de vie) et ne privilégie plus la croissance économique.
En effet, le club de Rome recommandait en 2021 des politiques axées sur le bien-être humain et de la planète et non sur la seule croissance économique. Le PIB, basé sur la seule croissance économique, devient un indicateur totalement obsolète aujourd’hui, au profit d’autres comme l’IDH (qui prend en compte des paramètres contre la santé, l’éducation, le niveau de vie) ou le BLI (Better Live Indice), basé sur la notion de «mieux-vivre ».
Aussi, les dirigeants les plus populaires de la planète sont ceux qui privilégient ce modèle de développement axé sur le bien-être de la population, et non les discours populistes sans assise sociale.
Jacinda Ardern est la première ministre de la Néo-zélande (Nouvelle Zélande) et l’un des leaders les plus populaires au monde et dans son pays.Elle a été réélue Première-ministre en octobre 2020 en obtenant la majorité absolue pour son parti au parlement, une première. En juillet 2021, elle était la cheffe de gouvernement la plus appréciée au monde avec 59,5% d’opinions favorables, alors qu’elle est déjà la plus jeune cheffe d’État au monde (42 ans). C’est également la coqueluche des médias internationaux.
Gestion exemplaire de la Covid-19
Elle a déclaré ceci : « La croissance économique sans intérêt pour les questions sociales est un échec ». La Première ministre de la Néo-Zélande s’est illustrée par les questions de santé et sa gestion exemplaire de la Covid-19 en 2020 qui a fait obtenir au pays des résultats épatants (25 morts pour 5 millions d’habitants). C’était l’une des meilleures gestions de la crise sanitaire dans le monde, sinon la meilleure.
Jacinda Arden doit sa popularité en grande partie à ces résultats impressionnants concernant la Covid-19. Elle a vite réagi dès l’annonce de la menace en fermant les frontières, en imposant un confinement strict et menant une communication qu’elle a prise elle-même à bras le corps en privilégiant la pédagogie, grâce à son compte Facebook où elle faisait un direct chaque jour sur la situation pour diffuser des informations.
En 2021, le prix du meilleur maire du monde a été décerné à Philippe Rio, maire de Griny en France, par la City Mayor Foundation, un Think tank basé à Londres et composé de professionnels du développement durable. Les critères d’attribution du prix sont les suivants : action en matière de développement durable, lutte contre les inégalités et lutte contre la pauvreté.
Philippe Rio s’est aussi distingué par sa gestion de la crise de la Covid 19 au cours de laquelle il a mis en place des mécanismes en vue d’assurer la continuité du service public et soutenir les plus précaires, très affectés par la crise.
Approche décloisonnée
C’est un maire qui avait posé précédemment plusieurs actions pour la lutte contre la pauvreté, les inégalités, de même que pour l’inclusion.
En réalité, le nouveau leadership politique est aligné sur les ODD et privilégie l’intérêt pour les questions sociales (santé, genre, lutte contre la pauvreté et les inégalités) de même que les questions environnementales.
Il privilégie l’approche systémique, intégrée et transversale. Cela veut dire que les problématiques ne doivent plus être traitées de manière isolée, mais en tenant compte des interactions et liens de causalité qui les lient et en font des défis complexes. Les réponses doivent donc être décloisonnées et tenir compte de divers paramètres.
Cette approche décloisonnée permet d’atteindre plusieurs ODD à la fois pour un meilleur impact de nos politiques publiques auprès des populations (ce qui renforce la légitimité et la popularité de l’acteur politique) et d’améliorer les indicateurs de développement du pays (notamment l’IDH et le BLI) afin d’obtenir de meilleurs classements mondiaux, qui augmentent la confiance des investisseurs et permettent d’obtenir des financements. Sans oublier l’aura internationale.
Aïcha Yatabary
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