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[Tribune] Les écrivains entre périls et colère

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En ces temps de grande fragilisation pour le Mali, notre conviction est que notre pays, pour se relever, doit débattre, tout mettre à plat, s’écouter, accepter les conclusions issues de la synthèse. Dans ce cadre, le rôle des écrits et des écrivains n’est pas négligeable.

Nous sommes, nous écrivains, les observateurs critiques de nos sociétés, regards aigus, aussi pénétrant que possible, pour rapporter les vécus, décrypter les valeurs fondamentales et les transmettre, dénoncer l’immobilisme social et politique, la fatalité, la stagnation. En cela, nous œuvrons au réarmement moral.

Par écrivains, nous ne parlons pas des francophonesseuls, mais de l’ensemble des auteurs du patrimoine malien. On ne peut évoquer les bibliographies maliennes et même africaines sans mentionner les écrits et bibliothèques familiales dont Tombouctou et Djenné sont les porte-flambeaux.

Un écrivain malien de 75 ans m’a confié récemment :

« Vous êtes président d’un collectif d’écrivains reconnu. Faites quelque chose pour que les écrivains soient honorés par des décorations… Ka baarakè, ka sebennikè, ka sa ten, sans reconnaissance, alors que partout dans le monde, écrivain est un statut prestigieux. Honoré. »

Comme il a raison, ce doyen. Tant de métiers et filières sont honorés par les ordres nationaux, des chansonniers aux prédicateurs de banlieue, la liste est longue. Nous disons donc, regardez donc en direction des façonneurs de conscience ! L’écrivain est au service d’un schéma peu visible mais combien vital, car il sert un projet de société salvateur : porter la pensée d’une époque, faire avancer la réflexion et le sens critique, servir l’intelligence, construire les patrimoines, produire les savoirs éducatifs et les transmettre.

C’est pour cela que la colère couve dans la famille du livre. Elle pourrait, devrait prendre la forme d’une révolte, plaçant les acteurs culturels dans un devoir d’interpellation. Au nom de la pensée critique. Contre la mauvaise gouvernance des affaires éducatives et culturelles qui frappe de plein pied les professions, privant votre enfant, nos enfants, d’un des outils indispensables aux apprentissages, à savoir le livre.

Les écrivains nous apparaissent comme des transcripteurs des mémoires menacées de disparition, des passeurs des savoirs, de la singularité et de l’inter culturalité, des penseurs qui s’adressent à l’Afrique, qui l’aident à réfléchir, à penser, qui se battent pour que le continent ne soit pas le consommateur passif des concepts créés par les autres.

Disant cela, je ne pense pas seulement aux littéraires, mais aussi aux essayistes, et au-delà aux artistes, aux opérateurs culturels, à tous ceux qui, toutes disciplines confondues, traduisent l’Afrique. Nos sociétés, partie prenante dans le monde, ne participent pas assez aux réseaux mondiaux de production et de diffusion des contenus à caractère culturel, éducatif, scientifique, etc. Nous ne contrôlons même pas ce qui fait notre image.

La filière du livre au Mali est tributaire d’un contexte. Éditeurs et écrivains sont en effet des penseurs, des opérateurs privés d’une filière qui, pour atteindre ses objectifs, a besoin que soient élaborées et conduites des politiques publiques adéquates. On entend tous les jours cette formule : « nous sommes une société d’oralité. On ne lit pas, on parle, on raconte. » En somme une société de la grande palabre ! Ceux qui véhiculent ces lieux communs prolongent sans le savoir les préjugés coloniaux visant à déconsidérer les sociétés dominées. L’on oublie volontiers que toutes les communautés humaines fonctionnent à l’oralité. Que les livres saints furent d’abord formulés et transmis oralement. Lorsque se pose la question de la fixation des patrimoines et des modes de transmission des savoirs, elles se tournent vers le support écrit. À cet égard la société malienne, elle aussi, est une société de l’écrit. À travers son patrimoine de manuscrits anciens, notre pays se trouve à la tête de la plus grande bibliothèque précoloniale d’Afrique au sud du Sahara.Disant cela, nous faisons référence aux manuscrits dits « de Tombouctou », c’est-à-dire à tous les écrits réalisés par les lettrés maliens depuis le temps des grands empires, écrits en arabe ou élaborés en ajami.

Nous appelons tous ceux qui sont aux commandes à s’interroger. Que vaut la capacité de créativité de nos écrivains, chercheurs et penseurs, dans un contexte de pays fracturé, où la perception des penseurs est déclassée, au profit des professionnels de la « politique » passés maîtres dans la captation des ressources de l’Etat. Ces « pros » actionnent les leviers des fraudes électorales, des clientélismes ethniques et régionalistes, de la corruption portée par les maffias émergentes. Des antivaleurs militent contre les principes de justice, d’équité, de travail bien fait, d’argent gagné à la sueur de son front, de probité, toutes choses qui sont à l’origine des processus d’entrée en rébellion armée.

Les « masses rurales », les sociétés civiles et les secteurs privés émergents pèsent peu dans la balance. Dès lors qui et comment actionner une renaissance véritablement démocratique, après les dérives des cinquante dernières années ?

Quand nos dirigeants parlent de culture, on a l’impression qu’ils ne parlent pas le même langage que les acteurs culturels. La culture, pour certains d’entre eux, c’est en gros et en vrac. Certains ne connaissent que le jembéfola et les cantatrices. C’est tout juste s’ils admettent que le livre, la pensée, soient la culture.                                                              

Il est difficile pour les acteurs du livre de maintenir le cap, d’avancer. Parce que nous sommes dans une filière et comme toute filière, si elle n’est pas infrastructurée, les efforts sont vains. Il en est ainsi de la plupart des éditeurs maliens aujourd’hui. On ne le rappellera jamais assez, c’est l’école qui est destinataire/utilisateur privilégié du livre. Mais si le canal d’accès du livre vers l’école est obstrué, l’éditeur ne peut pas remplir sa mission. L’écrivain non plus. Cela produit un système éducatif pauvre car ne disposant pas de livres pour les apprentissages et la culture générale.

L’internet qui semble représenter la porte incontournable vers les savoirs et les apprentissages, ne saurait documenter si, en amont, des chercheurs et écrivains ne créent pas les contenus. Que d’autres s’empressent de télécharger. À cet égard, certains comportements commencent à gangréner les universités et l’édition, il s’agit notamment du plagiat, dont les multiples formes interpellent aujourd’hui les enseignants, les relecteurs et les correcteurs des maisons d’édition, qui se trouvent souvent en présence de textes pillés sur les moteurs de recherche. À cet effet, je renvoie les professionnels aux logiciels de détection : dix outils de vérification de plagiat en ligne | Observatoire des technologies de l’IST plagiarism checker & plagiarism detection : : : plagium

Ismaila Samba TRAORE

Président du Collectif d’écrivains PEN MALI

Cet article a été publié par PEN et Malivaleurs en 2018 à l’occasion de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur. Nous lui avons apporté des modifications.


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