L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle pose une question vertigineuse : en lui confiant nos pensées et nos décisions, ne sommes-nous pas en train de nous appauvrir intellectuellement, au risque de devenir les simples exécutants d’un système qui, lui, ne cesse de s’enrichir ?
Cette semaine, une nouvelle secousse a ébranlé le monde de l’intelligence artificielle, cette semaine. Deepseek, une IA chinoise open-source, surpasse ChatGPT, le mastodonte américain d’OpenAI, qui enregistrant plus de téléchargement durant ces derniers jours. Une course à l’armement technologique où les États-Unis et la Chine se disputent la suprématie de l’intelligence artificielle, pendant que l’Europe tente désespérément de poser quelques garde-fous éthiques.
L’intelligence artificielle a franchi un cap. Non plus simple outil au service de l’homme, elle devient une entité protéiforme, une mécanique qui se nourrit de nous pour mieux nous dépasser. Plus on l’utilise, plus elle s’enrichit, et plus, paradoxalement, nous nous appauvrissons. Cette asymétrie terrifiante, certains la minimisent encore, convaincus que l’IA ne saurait remplacer le génie humain. D’autres, lucides, voient poindre à l’horizon un bouleversement sans précédent, celui d’une humanité dépossédée de son intelligence au profit d’un cerveau artificiel aux capacités exponentielles. Une interrogation qui a valu à Luc Ferry, professeur de philosophie, essayiste et homme politique français, de titrer son nouvel ouvrage: « IA, grand remplacement ou complémentarité », publié le 15 janvier 2025 aux éditions l’Observatoire.
Notre esprit s’atrophie
L’histoire nous a appris à redouter ce que nous ne comprenons pas totalement. L’imprimerie a provoqué la fureur des moines copistes. L’électricité a été regardée avec méfiance par les premiers habitants des villes illuminées. L’ordinateur lui-même, dans les années 80, était perçu comme une menace pour l’emploi. Mais ici, il ne s’agit plus simplement d’un changement technologique. Il s’agit d’une mutation ontologique : l’IA ne se contente pas d’exécuter, elle apprend, elle anticipe, elle crée. Et ce faisant, elle fait vaciller nos certitudes sur la singularité humaine.
Ce qui effraie n’est pas tant son intelligence froide et calculatrice, mais notre dépendance grandissante à son égard. Qui écrit encore sans correcteur automatique ? Qui cherche sans moteur de recherche ? Qui réfléchit sans assistant virtuel ? L’homme moderne délègue, externalise, se déleste. Petit à petit, il renonce à l’effort de penser, préférant la facilité de l’algorithme qui, à chaque requête, se perfectionne pendant que notre esprit s’atrophie.
Plus elle s’humanise, plus nous nous robotisons
Il ne s’agit pas ici d’une dystopie hollywoodienne où des robots se rebellent contre leur créateur. L’ennemi n’est pas la machine, mais l’illusion qu’elle génère : celle d’une intelligence partagée alors qu’elle est asymétrique. Elle prend, elle engrange, elle optimise — mais nous, que gagnons-nous en retour ? La commodité ? La rapidité ? À quel prix ?
Derrière le miroir sans tain de l’IA, il y a une vérité inquiétante : plus elle s’humanise, plus nous nous robotisons. Et si, demain, nos pensées n’étaient plus que le reflet de ce que l’algorithme veut bien nous souffler, alors nous ne serions plus que des ombres, errant dans un monde façonné par une intelligence qui n’est plus la nôtre.
F. Togola
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