Le massacre de Thiaroye, tragédie longtemps occultée de l’histoire coloniale française, révèle les injustices subies par les tirailleurs africains et appelle à une reconnaissance pleine et entière des responsabilités.
L’histoire retient parfois des moments que certains auraient préféré oublier. Le massacre de Thiaroye, survenu le 1er décembre 1944 dans un camp militaire sénégalais, illustre l’une des pages les plus sombres de l’histoire coloniale française. Des tirailleurs africains, soldats démobilisés de la Seconde Guerre mondiale, furent exécutés alors qu’ils réclamaient le paiement de leur solde. Un massacre que l’ancien président François Hollande, dans une interview à un média occidental, a reconnu comme tel, brisant un silence pesant. Ce massacre, pourtant méconnu pendant des décennies, revient aujourd’hui sous les projecteurs à la faveur d’un travail acharné d’historiens et d’activistes pour la vérité.
Une tragédie longtemps étouffée
Le massacre de Thiaroye n’est pas un simple épisode sanglant de l’histoire coloniale, c’est un symbole des inégalités, des injustices et de l’arrogance d’un empire qui se disait civilisateur. Les tirailleurs, originaires de plusieurs colonies d’Afrique de l’Ouest, avaient combattu sous le drapeau français, endurant la rudesse des fronts européens et l’humiliation des camps de prisonniers nazis. À leur retour, ils furent confrontés à l’ingratitude de la puissance qu’ils avaient servie. Leur seul crime : réclamer ce qui leur était dû.
François Hollande le reconnaît sans détour : « Oui, c’est un massacre… un massacre à la mitrailleuse. » Ces mots viennent rompre avec la prudence et l’évitement historique qui ont longtemps caractérisé le discours officiel français sur cet événement. Pourtant, le massacre de Thiaroye n’a pas été le fruit d’un ordre centralisé venant des plus hautes sphères, selon Hollande, mais plutôt une décision locale, irréfléchie et irréparable.
Une histoire de revendications légitimes
À Thiaroye, les tirailleurs réclamaient le paiement de leurs soldes et indemnités de guerre, un droit légitime après des années de sacrifices. Ce qui aurait dû être une discussion pour l’équité s’est transformé en un carnage. La réponse fut brutale, inhumaine : des dizaines, voire des centaines d’hommes furent abattus froidement, un acte que Mamadou Diouf, historien sénégalais, qualifie de « dissimulation criminelle » orchestrée pour masquer la responsabilité des autorités françaises.
Selon les archives françaises de l’époque, 35 tirailleurs auraient perdu la vie ce jour-là. Pourtant, des historiens et chercheurs comme Mamadou Diouf et Armelle Mabon avancent que ce chiffre pourrait être bien plus élevé. « Le nombre réel de victimes reste un sujet de controverse, tout comme leur lieu d’inhumation, parfois dans des fosses communes », déplore Mamadou Diouf. Ces chiffres et zones d’ombre témoignent de la volonté de minimiser un crime que certains qualificatifs de « mensonge d’État ».
Armelle Mabon, historienne française engagée sur cette question, insiste sur l’importance de franchir un cap décisif : la reconnaissance totale et officielle du massacre. Dans son livre, Le massacre de Thiaroye : 1er décembre 1944 ; Histoire d’un mensonge d’État, elle révèle les rouages d’une « entreprise de falsification historique » visant à minimiser l’ampleur de la tragédie et à diluer les responsabilités.
Une commémoration teintée de soupçons
Alors que le Sénégal prépare les commémorations du 80ᵉ anniversaire de Thiaroye, les tensions sur la transparence historique restent vives. Depuis 2014, la France affirme avoir transmis à Dakar toutes les archives relatives à cet événement. Mais, selon des chercheurs sénégalais, des documents pourraient être encore dissimulés, empêchant une reconstitution complète des faits.
Cette quête de vérité dépasse la simple restitution d’archives. Elle symbolise une lutte pour la reconnaissance des souffrances subies par des générations de soldats africains marginalisés, humiliés, et parfois exécutés pour leur loyauté envers une France qui les a trahis.
Une résonance contemporaine
Le massacre de Thiaroye n’est pas qu’un souvenir lointain ; il éclaire les défis actuels des relations franco-africaines. La reconnaissance des crimes coloniaux est une étape essentielle pour rétablir une confiance mise à mal par des décennies de condescendance et de silences gênants.
Les mots de François Hollande, bien que tardifs, ouvrent une porte à une discussion nécessaire sur le passé colonial de la France. Cependant, des excuses officielles et des réparations symboliques ou financières restent à l’horizon. Ce massacre, tout comme d’autres exactions commises dans le cadre colonial, ne peut être véritablement clos sans un processus complet de justice mémorielle.
Pour le Sénégal, le massacre de Thiaroye est un drame mémorielle, mais aussi un enjeu politique actuel. Lors d’un discours en campagne électorale, le Premier ministre Ousmane Sonko a énoncé les limites de la reconnaissance française : « Ce n’est pas à la France de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés. » Son message reflète une volonté de remplacer le récit africain au centre des commémorations, loin des narrations imposées par l’ancienne puissance coloniale.
Une mémoire à raviver pour réconcilier
Les commémorations de Thiaroye, comme le souligne Mamadou Diouf, sont un devoir collectif, non seulement pour le Sénégal mais aussi pour tous les pays concernés et pour la France elle-même. Elles doivent être une occasion de raviver la mémoire des tirailleurs sacrifiés, tout en exhortant les institutions à rendre accessible la vérité. Armelle Mabon rappelle que ces hommes n’ont pas seulement été tués ; leur mémoire a été souillée par des décennies de mensonges et de déni.
Comme le disait François Hollande, « Les mots doivent être mis là où ils correspondent à une réalité. » À Thiaroye, la réalité fut celle d’un massacre. À nous de faire en sorte qu’elle devienne aussi celle d’une réconciliation mémorielle.
Cette tragédie nous interroge sur le devoir de mémoire envers tous les oubliés de l’histoire, et sur notre capacité à bâtir un avenir collectif à partir de vérités douloureuses mais essentielles.
Le massacre de Thiaroye, longtemps refoulé dans les marges de l’histoire, est aujourd’hui une métaphore de la complexité des relations entre la France et l’Afrique. Reconnaître ce massacre comme un crime historique, c’est reconnaître que la décolonisation n’est pas seulement un fait juridique ou politique : c’est un processus de réconciliation mémorielle. Thiaroye nous rappelle que l’histoire ne s’efface pas. Elle attend, patiente, et revient à la lumière quand ceux qui réclament justice persistent et refusent de se taire.
Chiencoro Diarra
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