L’Afrique, éternelle captive de son passé colonial, doit trancher : rester sous tutelle ou imposer enfin son propre destin.
Évoquer l’histoire de l’Afrique sans parler de la colonisation, c’est comme raconter l’histoire de l’Atlantique sans évoquer l’esclavage. Tout, absolument tout – des structures économiques à la politique, en passant par l’éducation et même le retard technologique – plonge ses racines dans ce moment de bascule où le continent s’est vu dépossédé de son destin.
La colonisation n’a pas seulement été une spoliation matérielle, elle a été un projet de domination totale : économique, culturelle, spirituelle. Elle a brisé des générations entières, vidé l’Afrique de ses forces vives et laissé derrière elle une élite fragmentée, formée dans le moule de l’Occident, souvent incapable de rompre le cordon ombilical avec l’ancienne métropole.
La colonisation fut d’abord une entreprise économique. Une machine implacable de captation des ressources et d’exploitation des corps. La main-d’œuvre africaine fut déportée par millions, tandis que les matières premières alimentaient l’industrialisation européenne. Les écoles et les institutions administratives créées par le colon ne visaient qu’un objectif : fabriquer une classe d’intermédiaires indigènes, fidèles relais de l’occupant, jamais des architectes d’un avenir souverain.
La colonisation spirituelle, poison lent et persistant
Et pour justifier cette prédation, un récit fut construit. Un récit dans lequel l’Afrique n’était qu’une terre vierge, peuplée d’hommes sans histoire, bons à être guidés. Hegel le disait déjà : « L’Afrique n’est pas entrée dans l’histoire ». Nicolas Sarkozy, bien plus tard, à Dakar, reprit l’antienne, expliquant doctement que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Le mépris comme héritage, le paternalisme comme projet.
Mais si la colonisation physique a pris fin, la colonisation mentale, elle, perdure. Le plus grand drame de l’Afrique n’est pas tant d’avoir été pillée que d’avoir été conditionnée à se voir à travers le prisme de son colonisateur.
L’Égypte ancienne, qui enseigna à la Grèce ses premières leçons de mathématiques et de philosophie, fut méthodiquement coupée de son africanité. Pythagore et Aristote furent les élèves des temples égyptiens, mais dans les manuels d’histoire, on préfère raconter que la lumière vint uniquement d’Athènes. Dissimulation, détournement, relecture opportuniste. Le vol du passé est peut-être le crime le plus parfait de la colonisation.
Un paradoxe colonial ; civiliser ceux dont on est issu
Et pourtant, ironie du sort, c’est de l’Afrique que tout est parti. La science, la philosophie, l’architecture, la spiritualité. Tout converge vers une évidence que les esprits les plus honnêtes admettent aujourd’hui. L’Homme est né en Afrique. L’ADN en témoigne. Le premier cerveau pensant, la première main façonnant des outils, la première parole articulée sont africains.
Alors, comment expliquer ce paradoxe où les descendants de l’Afrique en sont venus à mépriser ceux qui leur ont donné la vie ? Un enfant peut-il déclarer que son père est un sauvage sans s’interroger sur son propre héritage ?
La colonisation n’a pas seulement dépouillé l’Afrique de ses ressources, elle a inoculé un virus bien plus redoutable : celui du doute sur soi-même. L’Africain moderne vit encore sous l’ombre portée du syndrome de Stockholm. Il aime son bourreau, cherche son approbation, redoute son émancipation.
Quand l’intellectuel africain trahit son propre continent
Le plus grand crime colonial ne fut pas commis par les colons, mais par ces élites africaines qui, au fil des générations, ont fait leur la matrice de pensée de leurs anciens maîtres. Senghor, immense poète mais piètre stratège, osait affirmer que « la raison est hellène et l’émotion est nègre ». Comme si la capacité d’analyser et de structurer une pensée appartenait à un continent et la sensibilité à un autre !
Pourtant, c’est bien l’émotion qui pousse à l’action, qui fait naître les révolutions, qui nourrit la créativité. L’Europe ne s’est-elle pas construite sur des siècles de passions ?
Aujourd’hui encore, combien de dirigeants africains réclament la tutelle bienveillante de l’Occident, combien d’intellectuels ressassent les mêmes discours fatalistes, combien de pays acceptent que leurs richesses soient gérées de l’extérieur ?
L’émancipation totale reste un combat inachevé. Il ne s’agit pas seulement de déboulonner les statues des colons ou de renommer les avenues. Il s’agit d’une réappropriation totale du récit africain, d’un refus catégorique de toute dépendance intellectuelle, économique et politique.
L’Afrique face à son destin
Rien ne condamne l’Afrique à l’échec, sinon elle-même. L’Occident n’est plus omnipotent, ses modèles vacillent, ses certitudes s’effritent. Mais pendant ce temps, l’Afrique reste hésitante, oscillant entre révolte et soumission, entre renaissance et résignation.
Les nations qui émergent aujourd’hui ne sont pas celles qui quémandent, mais celles qui imposent leurs règles du jeu. La Chine ne s’est pas développée en demandant la permission. L’Inde n’a pas explosé en restant un laboratoire d’expérimentation économique.
L’Afrique a-t-elle le courage de rompre ? De dire non aux aides conditionnées, non aux accords léonins, non à cette éternelle infantilisation qui veut qu’elle attende qu’on lui dise comment se développer ?
L’heure de la rupture est venue. Non pas dans un esprit de rancune ou de revanche, mais dans une logique de dignité. Personne ne respectera jamais un continent qui ne se respecte pas lui-même.
L’Afrique doit choisir entre continuer à marcher dans les pas de son passé colonial ou bifurquer, sans regarder en arrière, vers son propre destin.
F. Togola
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