La reprise du palais présidentiel de Khartoum par l’armée soudanaise marque un tournant symbolique dans un conflit qui, lui, reste loin d’être terminé.
Le 21 mars 2025, l’armée soudanaise annonçait, en grande pompe, la reprise du palais présidentiel de Khartoum, après près de deux années d’occupation par les Forces de soutien rapide (FSR) de Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemetti ».
Pourtant, derrière cette victoire symbolique, l’essentiel demeure : une guerre civile sans issue, une capitale fracturée, un pays disloqué. Et surtout, une population abandonnée à elle-même, dans l’indifférence presque totale de la communauté internationale.
Une victoire stratégique ou une étape dérisoire ?
On aurait tort de minimiser ce succès militaire. La reconquête du palais présidentiel n’est pas qu’un coup d’éclat, c’est une démonstration de force, un point d’inflexion psychologique dans un conflit où les lignes de front sont mouvantes, et les allégeances souvent éphémères. La dynamique s’est inversée. Après des mois de replis, l’armée régulière reprend du terrain.
Mais au Soudan, chaque victoire militaire se paie du prix d’un nouveau déséquilibre. La FSR conserve des bastions entiers, comme Omdourman, des quartiers de Khartoum, et surtout l’ouest du pays, où El-Facher devient l’épicentre d’une guerre totale dans le Darfour.
Depuis avril 2023, ce sont plus de 150 000 morts, 12 millions de déplacés, 20 millions de personnes dépendantes de l’aide internationale. Ces chiffres, cités mécaniquement par les agences onusiennes, sont devenus les jalons froids d’une tragédie qui ne dit plus son nom. L’une des plus grandes crises humanitaires au monde se joue dans un silence presque organisé.
Car au-delà du fracas des armes, c’est le destin d’un État-nation qui vacille. Le Soudan ne se bat pas seulement pour son territoire, il lutte pour son existence politique, pour son intégrité administrative, pour la possibilité même d’un futur commun.
Les lignes de fracture s’internationalisent
Comme souvent, lorsque l’État s’efface, d’autres s’invitent à la table. La Russie, le Tchad, l’Iran, et en arrière-plan les puissances du Golfe, toutes attirées par ce terrain devenu laboratoire du chaos géostratégique africain. La guerre au Soudan n’est plus uniquement soudanaise. Elle est aussi celle des intérêts rivaux qui testent ici leurs armes, leur influence, leur capacité à remodeler des équilibres fragiles.
Dans ce contexte, la reprise du palais n’est qu’un acte dans une pièce dont personne ne contrôle le scénario.
Tout palais présidentiel porte en lui une illusion : celle de la stabilité. En temps de paix, il incarne l’État. En temps de guerre, il devient un trophée. Mais croire que sa reconquête marque une avancée décisive, c’est confondre la surface avec la profondeur. Ce n’est pas le palais qu’il faut reconstruire, c’est l’État.
Et cela passe par une triple exigence. Tout d’abord, sécuriser durablement les zones reconquises. Ensuite, il s’agirait de répondre à l’urgence humanitaire par un effort international coordonné. En fin, il faudrait ouvrir un dialogue politique sincère, au-delà des uniformes et des clivages ethniques.
L’histoire ne retient jamais les statues debout sur les ruines
En reprenant le palais, le général al-Burhane remporte un round. Mais ce n’est pas à Khartoum que se joue l’avenir du Soudan. C’est dans les camps de déplacés, les zones assiégées, les écoles détruites, les hôpitaux à l’arrêt, et les regards vides de millions d’enfants sans avenir.
Ceux-là ne brandissent pas d’armes. Ils ne chantent pas de slogans. Mais ils attendent autre chose que des drapeaux hissés sur des façades calcinées. Ils attendent la paix. La vraie.
Chiencoro Diarra
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