Un an après la création de la Confédération des États du Sahel (AES), le Mali, le Burkina Faso et le Niger s’apprêtent à tenir à Bamako un sommet décisif. Sous la présidence d’Assimi Goïta, l’organisation a multiplié les initiatives – passeport commun, opérations militaires conjointes, création d’une banque régionale – tout en révélant ses fragilités : dépendance sécuritaire, isolement diplomatique, absence de calendrier politique. La désignation du prochain président de la Confédération, fin décembre, sera un test crucial de sa cohésion et de sa crédibilité.
À la veille du deuxième sommet des chefs d’État de l’Alliance des États du Sahel (AES), Bamako s’apprête à accueillir un rendez-vous décisif pour l’avenir de la jeune confédération. Dix-huit mois après sa création, l’organisation régionale fondée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger a franchi plusieurs étapes symboliques et institutionnelles, tout en révélant les limites d’une intégration encore fragile.
Une année charnière pour l’intégration sahélienne
Le 6 juillet 2024, à Niamey, le général Assimi Goïta, président de la transition malienne, devenait le premier chef de la Confédération des États du Sahel (AES). Un an et demi après la signature de la Charte du Liptako-Gourma – texte fondateur de cette union politique et sécuritaire – l’organisation voulait passer des discours à l’action.
À la fin de 2025, le bilan de cette première année laisse entrevoir des avancées notables, notamment dans la coordination militaire et la structuration institutionnelle, mais aussi des zones d’ombre persistantes.
Alors que les 22 et 23 décembre 2025, Bamako accueillera le deuxième sommet des chefs d’État, la question de la succession du président Goïta cristallise les enjeux d’un espace politique en quête d’équilibre.
Sécurité : du concept à l’action
L’AES est née d’une urgence : faire face à la menace djihadiste sans dépendre des dispositifs occidentaux. Sous la présidence Goïta, cette promesse s’est concrétisée par la mise en place d’une Force unifiée de 5 000 soldats, dotée d’un État-major à Niamey et d’un poste de commandement à Gao.
L’opération YERE-KO 2, conduite du 24 février au 6 mars 2025, a constitué le point d’orgue de cette montée en puissance. Pour la première fois, des unités maliennes, burkinabè et nigériennes ont mené des actions coordonnées de grande ampleur dans la zone des trois frontières, détruisant des bases terroristes et saisissant du matériel logistique.
Cette opération a donné corps au projet confédéral : celui d’une autonomie sécuritaire, soutenue par un appui logistique russe et par la mutualisation progressive des moyens aériens.
Mais le dispositif reste inachevé. Les forces n’ont pas encore atteint la pleine capacité opérationnelle, les chaînes de commandement intégrées se heurtent à des problèmes d’interopérabilité, et la dépendance à l’appui extérieur – notamment russe – soulève des inquiétudes sur la durabilité de cette souveraineté militaire.
Diplomatie : l’affirmation d’une identité confédérale
Sur le plan diplomatique, la présidence Goïta a transformé les symboles en instruments de cohésion. L’AES dispose désormais de son drapeau, son hymne (« La Confédérale »), son passeport et sa carte d’identité biométrique. Ces innovations, saluées à Bamako comme les marques d’une souveraineté retrouvée, donnent à l’organisation une visibilité nouvelle sur la scène régionale.
Les passeports AES, conformes aux normes de l’OACI, ont été délivrés par dizaines de milliers, et la carte d’identité confédérale, lancée début décembre, illustre la volonté d’inclusion sociale et d’intégration citoyenne.
En revanche, la diplomatie régionale reste hésitante. Les tentatives de rapprochement avec la CEDEAO, amorcées au printemps 2025, se sont rapidement essoufflées. Le dialogue suspendu depuis l’été témoigne de la persistance d’un fossé politique entre l’AES et l’organisation ouest-africaine, malgré un « élan positif » initial.
À l’extérieur, l’AES s’est rapprochée de la Russie, de la Chine et de la Turquie, mais ces alliances restent largement asymétriques et renforcent la dépendance de l’espace sahélien à de nouveaux partenaires non africains.
Développement : les premiers jalons économiques
L’un des succès les plus tangibles de la présidence Goïta réside dans la création d’outils financiers inédits. La Banque confédérale pour l’investissement et le développement (BCID-AES), lancée en décembre 2025 avec un capital de 500 milliards de FCFA, vise à financer les grands projets d’infrastructure et à réduire la dépendance vis-à-vis des bailleurs extérieurs. Un fonds de stabilisation économique et un code douanier commun ont également été adoptés, ouvrant la voie à un futur espace commercial intégré.
Mais ces avancées demeurent fragiles : la monnaie commune reste à l’état de projet, et la dépendance au franc CFA limite l’autonomie financière de la Confédération.
Le rêve d’une « souveraineté économique » est encore loin de la réalité.
Des institutions qui se cherchent
L’AES a structuré son fonctionnement autour d’un Conseil des ministres, de réunions sectorielles régulières et d’une présidence tournante annuelle. Ce schéma institutionnel, inspiré des modèles régionaux, a permis d’instaurer un début de coordination.
Mais l’équilibre entre les trois États reste précaire. La question de la succession présidentielle, initialement prévue pour juillet 2025 mais repoussée à décembre, illustre ces tensions latentes.
Traoré ou Tiani : le choix de Bamako
Le sommet de Bamako doit désigner le successeur d’Assimi Goïta. Deux profils se dessinent : le capitaine Ibrahim Traoré, jeune dirigeant burkinabè porté par une forte popularité, et le général Abdourahamane Tiani, chef de l’État nigérien, considéré comme le plus expérimenté des trois.
Le premier incarne une génération montante et un discours de rupture ; le second, une approche sécuritaire et institutionnelle. Le choix entre ces deux figures aura valeur de test : la Confédération est-elle capable d’assurer une rotation équilibrée du pouvoir, ou tombera-t-elle dans la logique d’une direction personnalisée concentrée entre Bamako et Niamey ?
Un modèle alternatif, mais encore fragile
En un an, l’AES a donné naissance à une architecture politique et sécuritaire inédite en Afrique de l’Ouest. Mais elle reste dépendante d’un triangle de régimes militaires sans calendrier de transition démocratique. Son succès repose désormais sur sa capacité à se doter d’institutions stables et à transformer son discours souverainiste en résultats tangibles pour les populations.
À Bamako, les chefs d’État du Sahel tenteront de prouver que leur confédération n’est pas qu’une alliance de circonstance. Leur défi : montrer qu’au-delà de la rupture avec la CEDEAO, l’AES peut devenir un modèle africain d’intégration politique, sécuritaire et économique, et non un simple front commun contre l’isolement diplomatique.
Chiencoro Diarra
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