0,5 % sur les importations, pour une Confédération qui veut s’assumer. En instaurant son propre impôt, l’AES met en place l’une des bases fondamentales de tout État : la maîtrise de ses ressources.
Bamako, 28 mars 2025. Derrière les murs sobres d’un palais présidentiel sécurisé à l’excès, le Général d’armée Assimi Goïta, en treillis impeccable, paraphe un document qui, sous ses allures techniques, marque un virage institutionnel majeur pour la Confédération des États du Sahel (AES).
Nom de code : PC-AES, pour Prélèvement Confédéral de l’AES. Taux affiché : 0,5%. Objet : taxer les marchandises importées de pays tiers, et par ce biais, assurer l’autonomie financière de cette entité née d’un séisme politique et militaire dans la sous-région.
En somme, un impôt. Mais pas n’importe lequel. Dans une Afrique de l’Ouest où l’aide extérieure, les lignes budgétaires conditionnées et les missions de la Banque mondiale sont depuis longtemps la norme, l’AES pose ici un acte de souveraineté budgétaire. Certes modeste dans son assiette, mais ambitieux dans son principe : lever l’impôt comme levier d’existence politique.
De la CEDEAO à l’AES, rupture consommée, caisse à l’appui
Le PC-AES n’est pas seulement un outil de collecte. Il est le symbole tangible d’une volonté. Celle de rompre avec les mécanismes de dépendance hérités des anciennes organisations régionales. Depuis la charte du Liptako-Gourma jusqu’à la création de la Confédération en juillet 2024, les militaires au pouvoir à Ouagadougou, Niamey et Bamako ne cessent de construire une contre-architecture institutionnelle.
Ce prélèvement confédéral permet à l’AES de financer ses instances, ses projets, ses ambitions. Il s’applique à toutes les marchandises étrangères mises à la consommation dans l’espace douanier confédéral, à l’exception d’une liste aussi fournie que précautionneusement rédigée — allant des aides humanitaires aux produits diplomatiques, en passant par les dons philanthropiques ou les effets personnels des voyageurs.
Orthodoxie financière et audace politique
À la lecture du texte, une chose frappe. Le souci de rigueur. Les modalités de liquidation, les procédures de reversement, les obligations comptables et le calendrier de transfert aux caisses confédérales sont balisés avec un sens du détail qui laisse peu de place à l’improvisation. Les directeurs du Trésor, les ministres des Finances, et même un cabinet d’audit indépendant sont convoqués à cette nouvelle orthodoxie budgétaire.
L’objectif est clair : éviter les dérives, montrer patte blanche, asseoir la légitimité d’une gouvernance qui entend, à défaut de plaire à Paris ou Abuja, convaincre ses propres peuples.
La politique à l’épreuve du budget
Car au fond, l’instauration du PC-AES est une réponse directe à une question cruciale : comment exister politiquement si l’on ne maîtrise pas ses propres ressources ? L’AES semble avoir compris que toute intégration régionale — surtout celle qui se veut alternative — passe d’abord par un budget commun.
Le président de la Confédération — pour l’instant Goïta, mais pour combien de temps encore ? — sera désormais comptable d’un budget de dépenses soumis à validation. Son ministre des Finances devra, lui, remettre un rapport annuel, au plus tard chaque 31 janvier. Un style, un rythme, une méthode.
On l’oublie souvent, mais lever un impôt, c’est faire un choix de société. C’est dire qui appartient à la communauté, qui en est exclu, et à quoi sert l’argent du contribuable. En décrétant ce prélèvement, l’AES se dote de plus qu’un instrument financier : elle affirme un projet.
Un espace. Un peuple. Un destin, dit sa devise. Et désormais… un budget.
Chiencoro Diarra
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