Ils sont jeunes, souvent déscolarisés, ou même diplômés mais sans emploi. Dans les rues de Bamako comme dans bien d’autres villes du pays, les paris sportifs se sont imposés comme l’unique moyen d’échapper à la précarité. Derrière les tickets PMU, les clics sur 1xBet ou les jetons de casino virtuels se cache une réalité bien plus sombre : l’addiction, la ruine, et le silence des institutions.
« J’ai commencé à parier avec de l’argent réelle fin 2019, avec de petites mises, genre 250 F CFA. Puis un jour de janvier 2020, j’ai gagné près de 580 000 F CFA en jouant seulement 250 FCFA sur des évènements sportifs. » Pour ce jeune homme de 30 ans, cette victoire fut le début d’une longue descente. Très vite, il s’inscrit sur d’autres plateformes comme 1xBet ou Betwinner. « Je misais parfois jusqu’à 80 000 F CFA en une journée… et je perdais tout. »
Ce schéma, de nombreux jeunes maliens le connaissent. Entre endettement, mensonges à la famille et obsession quotidienne, les paris prennent le contrôle. « J’ai plus de 300 000 F CFA de dettes. J’ai menti à mes proches, pris des crédits, désinstallé les applis… mais dès que j’ai un peu d’argent, je replonge. » Il conclut sur une note d’espoir : « J’aurais préféré ne jamais commencer. »
Addiction silencieuse, souffrance invisible
Derrière l’écran, l’accroche est puissante : « Misez 100 F CFA, repartez millionnaire ! », « Gagnez sans transpirer grâce à vos connaissances du foot ! », ou encore « Pariez sur votre équipe préférée et changez de vie. » Ces slogans, omniprésents sur les réseaux sociaux et dans les quartiers, séduisent une jeunesse désorientée.
Seydou Diarra, 20 ans, raconte : « Ce qui m’attirait, c’était l’illusion de l’argent facile. Mais un jour, j’ai réalisé que je ne pouvais plus passer une journée sans parier. » Boubacar Barry, lui, a commencé à 15 ans : « J’ai perdu 30 000 F CFA et ça m’a détruit pendant deux mois. »
Les professionnels tirent la sonnette d’alarme
Face à cette montée silencieuse de la dépendance, les professionnels de la santé mentale commencent à s’inquiéter, même si peu osent encore en parler ouvertement au Mali. Pour le psychologue ivoirien Yao Kouassi, « les paris sportifs fonctionnent sur le même mécanisme psychologique que les drogues dures : gain aléatoire, euphorie, rechute. »
En Afrique de l’Ouest, plusieurs praticiens observent une recrudescence de jeunes en détresse psychologique liée au jeu. La psychiatre sénégalaise Fatou Diop explique : « Ce qui rend ces addictions dangereuses, c’est qu’elles sont socialement acceptées. Les jeunes ne se considèrent pas malades, donc ils ne demandent pas d’aide. »
Au Mali, bien que peu de données existent, certains psychologues locaux comme Moussa Traoré, exerçant à Bamako, commencent à tirer la sonnette d’alarme. Il confie : « La majorité des jeunes que je reçois pour anxiété ou insomnie cachent un rapport problématique au jeu. Ils n’en parlent qu’en dernier recours. »
L’absence de formation spécifique sur l’addiction au jeu dans les parcours médicaux nationaux complique la prise en charge. Il n’existe pas, à ce jour, de structure dédiée, ni de numéro vert d’écoute pour les joueurs en détresse.
Un fléau continental
Le Mali n’est pas un cas isolé. Une étude de GeoPoll en 2024 révèle que plus de 76 % des jeunes Africains interrogés dans plusieurs pays ont déjà parié, avec des pics au Kenya, au Ghana ou en Afrique du Sud. Près de 16 % parient plus d’une fois par jour, souvent dans l’espoir d’un jackpot jamais atteint.
Au Nigeria, on estime à près de 20 millions le nombre de jeunes exposés. Les paris deviennent une véritable industrie, avec des interfaces modernes, des bonus séduisants et des ambassadeurs célèbres du monde sportif ou musical.
Une urgence ignorée
Alors que les jeunes Maliens s’enfoncent de plus en plus dans l’addiction aux paris sportifs, le cadre réglementaire reste flou et insuffisant. Le PMU-Mali, seule structure officiellement autorisée à gérer les jeux de hasard dans le pays, continue d’opérer avec l’appui de l’État, mais sans réelle politique de prévention à la hauteur des enjeux.
Face à lui, des plateformes étrangères comme 1xBet ou Betwinner prospèrent, bien qu’elles ne soient ni régulées ni fiscalisées par les autorités maliennes. Résultat : une jeunesse exposée, un secteur incontrôlé, et un manque à gagner pour l’économie nationale.
Si l’État évoque aujourd’hui des pistes comme la taxation des jeux via Mobile Money, le mal est déjà profond. Et les rares campagnes d’information restent timides, voire absentes, face à un phénomène qui gangrène le tissu social, dans l’indifférence générale.
Les paris sportifs ne sont plus un simple divertissement. Ils sont devenus un danger silencieux, une échappatoire qui laisse derrière elle des vies brisées et des dettes colossales. Il est temps que les institutions prennent la mesure de cette nouvelle dépendance qui, à défaut d’être combattue, pourrait bien emporter une génération.
À suivre
Cheickna Coulibaly
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