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Nigeria : 10 000 morts, des villages rayés de la carte, des soldats accusés — le chaos d’un État en déroute

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Dix mille morts en deux ans. Des soldats qui vendent leurs armes aux terroristes. Des villages entiers disparus sous les flammes. Au Nigeria, ce ne sont plus seulement les marges de l’État qui vacillent, mais son cœur même. Une descente aux enfers que les promesses de Bola Tinubu n’ont pu enrayer — pour l’instant.

Bénin City, Abuja, Jos ou Maiduguri : les noms changent, l’hémorragie demeure. Dans le Nigeria de Bola Tinubu, la réalité n’a rien d’un conte fédéral, mais plutôt d’une chronique d’un effondrement annoncé — et ininterrompu.

Le 29 mai 2025, Amnesty International a rendu publique une enquête glaçante : plus de 10 000 Nigérians ont perdu la vie en deux ans, victimes des exactions de groupes terroristes, de bandes armées, et de milices sans foi ni loi. Un chiffre brut. Mais derrière les statistiques, des villages entiers effacés de la carte, des enfants enlevés, des puits dynamités, des écoles devenues ruines, des chefs traditionnels assassinés. Le Nigeria est à la peine, et l’État semble parfois aux abonnés absents.

Une carte du désastre

Benue, Plateau, Zamfara… Le centre du Nigeria, longtemps tampon entre les franges musulmanes du nord et les bastions chrétiens du sud, est devenu le théâtre d’une guerre sans front. Dans ces zones jadis prospères, Amnesty dénombre près de 6 900 morts dans le seul État de Benue, 2 600 dans celui du Plateau. Avril dernier, ce sont plus de 150 personnes qui ont été massacrées en quelques jours — dans une indifférence officielle qui confine au cynisme.

Les groupes armés ne se contentent plus de tuer. Ils imposent des taxes, organisent des enlèvements, détruisent tout symbole d’ordre ou de présence républicaine. Les routes sont devenues impraticables, les campagnes désertées, la peur généralisée. Et les armes ? Elles ne manquent pas.

La trahison dans les rangs

Le pire ? Il ne vient pas forcément d’en face. Il est dans les rangs mêmes de ceux censés défendre la République. Ce mercredi, l’armée nigériane a révélé l’arrestation de 18 soldats, 15 policiers mobiles et huit civils, accusés de collusion avec les groupes jihadistes. Certains, pour quelques poignées de billets, détournaient des munitions, vendaient des fusils, informaient les terroristes. L’un des officiers arrêtés aurait même conclu un pacte secret avec une cellule de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP). Trahison à l’uniforme, effondrement de la confiance, cancer de la corruption militaire.

« À ce jour, 18 soldats, 15 policiers mobiles et huit civils, dont un chef traditionnel, ont été arrêtés », a déclaré Ademola Owolana, porte-parole de l’armée. L’aveu est brutal : 20 % des armes utilisées par les jihadistes du Sahel proviendraient de raids contre des bases militaires, selon le Conflict Armament Research (CAR). Une partie vient aussi de ces ventes internes, de ces circuits souterrains qui alimentent le monstre.

Tinubu au pied du mur

Que fait le pouvoir ? Isa Sanusi, directeur d’Amnesty International au Nigeria, l’affirme : « Les mesures de sécurité du président Tinubu ne fonctionnent tout simplement pas ». Le chef de l’État, qui avait promis en 2023 de faire de la lutte contre l’insécurité une priorité, voit aujourd’hui son image écornée par cette vague de sang incontrôlable. Les déclarations ne suffisent plus. Les Nigérians attendent des actes, une stratégie, une ligne de front. Pas des condamnations générales ou des visites ministérielles expéditives.

Car ce qui se joue au Nigéria, ce n’est pas seulement la sécurité des villages reculés du centre ou du nord-est. C’est l’avenir de la première économie d’Afrique, de son État fédéral, de son unité territoriale.

Une poudrière au cœur de l’Afrique de l’Ouest

Le Nigeria n’est pas un pays comme les autres. Il est la colonne vertébrale du Golfe de Guinée. S’il tombe, c’est toute la région qui s’en ressentira. Déjà, les ramifications des terroristes nigérians traversent les frontières, contaminent le Niger, le Bénin, parfois même le Cameroun et le Tchad. Le feu ne connaît pas les lignes sur les cartes.

Dans ce contexte, le silence — ou pire, l’inefficacité — est un luxe que la présidence Tinubu ne peut plus se permettre. À défaut de gouverner par la prospérité, il lui faut aujourd’hui gouverner par la sécurité. Ou céder le terrain.

Chiencoro Diarra


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