Home A la Une Naba Fatoumata Samaké: « Cuisiner à 4 h du matin, aller au boulot sans café… et rester performante »

Naba Fatoumata Samaké: « Cuisiner à 4 h du matin, aller au boulot sans café… et rester performante »

0 comments 434 views

Dans un contexte où le ramadan revêt une importance particulière pour des millions de Maliens, qu’en est-il des femmes salariées, souvent tiraillées entre les obligations religieuses, sociales et professionnelles ? Quelles politiques, mesures ou appuis les accompagnent dans cette période intense ? Pour répondre à ces questions, Sahel Kunafoni s’est entretenu avec Naba Fatoumata Samaké, communicante spécialisée en santé publique, option géopolitique de la santé et santé des droits sexuels et reproductifs des adolescents et des jeunes. Elle est actuellement chargée de communication à l’ONG Conseils et Appui pour l’Éducation à la Base (CAEB), sur le programme « Jigiya », dédié aux jeunes leaders en santé de la reproduction.

Sahel Kunafoni : Comment le ramadan influence-t-il la vie professionnelle des femmes au Mali ?

Naba Fatoumata Samaké : Le mois de Ramadan a un impact profond sur la vie professionnelle des femmes, en particulier celles qui sont mariées, mais aussi les célibataires. C’est une période qui exige un engagement total, aussi bien spirituel que physique. Les femmes se retrouvent totalement mobilisées, aussi bien à la maison qu’au travail.

Comment les femmes salariées parviennent-elles à concilier leurs responsabilités personnelles et professionnelles ?

Pendant le ramadan, tout change. Certaines femmes doivent gérer plusieurs marmites en même temps, tout en assurant l’équilibre familial. Rester à jeun tout en gardant une humeur stable pour gérer famille et travail n’est pas chose facile. Socialement, la femme est attendue sur tous les fronts : cuisine, soins, attention portée aux proches et à la belle-famille. Il existe une attente implicite de la part de la société qui pousse certaines à incarner l’image de la femme « parfaite ».

Cela se répercute inévitablement sur la performance au travail. On cuisine le soir, on se lève dès 4 h pour le suhur, on enchaîne directement avec la journée de travail sans café ni thé, ce qui entraîne maux de tête, baisse de concentration et fatigue chronique. Certaines femmes prennent même des congés pour se consacrer entièrement à la gestion du foyer. Mais cette possibilité n’est pas offerte à toutes. D’autres somnolent au bureau, se sentent épuisées à la maison, ce qui peut, à la longue, altérer leur rapport au foyer.

Il ne s’agit pas seulement d’une responsabilité qui incombe aux entreprises, mais à la société dans son ensemble, qui doit repenser la répartition des charges domestiques. Les femmes, de leur côté, doivent aussi chercher des stratégies pour préserver leur équilibre.

Quelles politiques les entreprises devraient-elles mettre en œuvre pour soutenir les femmes durant le ramadan ?

Certaines entreprises permettent déjà aux salariées de rentrer plus tôt pendant le ramadan. C’est un progrès appréciable. Cependant, les horaires du matin restent inchangés. Ce petit ajustement en fin de journée est bénéfique, car il permet aux femmes de rentrer, préparer le repas et s’occuper de leur famille. Un effort supplémentaire pourrait être fait pour alléger davantage la charge mentale et physique des femmes pendant cette période.

Certaines disent que les femmes sont moins productives durant le ramadan. Partagez-vous cet avis ?

C’est une réalité, mais elle est largement liée à la charge mentale et physique qu’elles supportent. Il est difficile d’être pleinement performante à la maison et au bureau en même temps. Cela dit, les hommes aussi montrent des signes de fatigue en cette période. La différence, c’est que les femmes doivent en plus gérer la logistique familiale, anticiper les repas, penser aux condiments à acheter, et répondre aux attentes sociales.

Comment ces perceptions ont-elles évolué avec le temps ?

Les choses changent, lentement mais sûrement. De plus en plus d’hommes reconnaissent l’effort fourni par leurs épouses pendant le ramadan. Il est désormais courant qu’ils offrent un cadeau à leur femme à l’occasion de la fête. Mais cela ne suffit pas. Il faut aller plus loin dans la reconnaissance concrète, à travers des gestes de soutien au quotidien.

Quelles sont, selon vous, les principales difficultés rencontrées par les femmes salariées pendant cette période ?

Les femmes font face à une triple pression : professionnelle, domestique et sociale. Il y a d’une part le poids des normes sociales qui font de ces tâches des obligations, d’autre part, un manque d’organisation qui pourrait être comblé par des outils simples comme un planning culinaire. À cela s’ajoute la cherté de la vie. Les prix des denrées ont flambé et les femmes veulent tout de même « mettre le paquet » dans la marmite pour satisfaire les attentes de leurs proches. Les dix derniers jours du ramadan sont particulièrement éprouvants, avec l’intensification des prières et des tâches domestiques.

Quel rôle le gouvernement et les ONG devraient-ils jouer ?

L’État et les ONG devraient porter un plaidoyer fort pour une meilleure organisation des horaires de travail pendant le ramadan, en tenant compte de l’équité, pas seulement de l’égalité. Il ne s’agit pas de privilégier les femmes au détriment des hommes, mais de reconnaître la charge spécifique qu’elles supportent.

Il serait également utile d’intervenir sur les prix des denrées de première nécessité, de faciliter l’accès à l’électricité pour les femmes actives qui ont besoin de conserver leurs aliments, et d’encourager une meilleure implication des conjoints dans les tâches domestiques. Les hommes doivent incarner des modèles de soutien, s’inspirer des principes de la Sunna et faire du foyer une responsabilité partagée.

Propos recueillis et retranscrits par Bakary Fomba


En savoir plus sur Sahel Tribune

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Un petit commentaire nous motivera davantage

A propos

Sahel Tribune est un site indépendant d’informations, d’analyses et d’enquêtes sur les actualités brûlantes du Sahel. Il a été initialement créé en 2020, au Mali, sous le nom Phileingora…

derniers articles

Newsletter

© 2023 Sahel Tribune. Tous droits réservés. Design by Sanawa Corporate

En savoir plus sur Sahel Tribune

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture