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Mali : le quotidien des pêcheurs Bozos face aux défis climatiques et urbains

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Le fleuve Niger, artère vitale de l’Afrique de l’Ouest, abrite une communauté dont l’existence est intrinsèquement liée à ses eaux, les pêcheurs Bozos. Ancrés sur ses rives du fleuve Niger depuis des siècles, ces hommes et femmes perpétuent un mode de vie ancestral, tissé de savoir-faire transmis de génération en génération. Mais aujourd’hui, cette tradition vivante fait face à des défis inédits, entre la poussée de l’urbanisation et les caprices d’un environnement en mutation. Plongeons dans leur quotidien, à travers les voix de ceux qui font battre le cœur de cette communauté.

Chaque matin, bien avant que les premières lueurs de l’aube ne caressent la surface du fleuve Niger, l’activité s’éveille sur les rives. Pour Mamoutou Minta, la journée commence dès 4 heures. « Je débute ma journée de pêche très tôt, et je rentre vers 7 heures », explique-t-il, ses mains calleuses témoignant des heures passées à manipuler filets et pièges. Sa technique est un mélange harmonieux de traditions et d’adaptations. « Je pratique plusieurs types de pêche, dont le ‘’balandjon’’, des pièges que j’installe la nuit pour récupérer les poissons au petit matin, et le ‘’filidjon’’, qui consiste à attraper les poissons au filet ».

Respect des outils traditionnels

La science des filets est d’ailleurs une expertise propre aux Bozos. Mama Sinanta, une figure respectée de la communauté, nous éclaire. « Il y a différents types de filets. Certains possèdent de grandes mailles, permettant de capturer plusieurs poissons, tandis que d’autres, dotés de mailles plus petites, sont réservés aux alevins. Ainsi, chaque filet a son utilité, adaptée aux besoins du moment ». Cette sagesse populaire illustre une connaissance intime de l’écosystème fluvial et de ses habitants, indispensable à leur survie.

Les pirogues, quant à elles, sont bien plus que de simples embarcations ; elles sont des reliques, des héritages familiaux. « Nous, les Bozos, n’utilisons qu’une seule pirogue pour la pêche, héritée de nos ancêtres», précise Mohamed Kontao, désignant une barque effilée taillée dans un tronc d’arbre. « D’autres pirogues sont réservées au transport des personnes ». Ce respect des outils traditionnels est une marque indélébile de leur attachement à leur patrimoine et à leur mode de vie.

La crue et la décrue, le rythme de la survie

La vie des pêcheurs Bozos est intrinsèquement liée aux cycles du fleuve Niger. Lorsque le fleuve est en crue, la tâche devient ardue. « L’eau monte, les poissons se dispersent et se cachent sous les herbes », décrit Mamoutou Minta, le regard empreint de préoccupation. « Dans ces moments difficiles, on se tourne vers les coraux, plaçant des pièges aux angles pour maximiser nos chances de succès ». Une stratégie qui exige patience, ingéniosité et une connaissance approfondie des méandres du fleuve.

Mais la décrue est synonyme de célébration. « Cependant, lorsque le niveau de l’eau baisse, c’est la fête pour nous pêcheurs ! », s’exclame-t-il, un sourire illuminant son visage. « Cette période facilite la pêche, tout en nous permettant d’attraper de nombreux poissons et de mieux gagner notre vie ». C’est durant ces périodes fastes que la subsistance et le commerce se rejoignent, assurant la survie et le bien-être de leurs familles.

Pour Mamoutou, la pêche est bien plus qu’une simple profession ; c’est une véritable bénédiction, un pilier de son existence. « La pêche est bien plus qu’un simple métier ; c’est un héritage familial qui m’a permis de me marier, d’acheter une maison et même de voyager à travers plusieurs pays, tels que la Côte d’Ivoire et le Bénin ». 

S’adapter pour perpétuer, la résilience face au changement

Sidy Traoré, un autre pêcheur de la communauté, partage le même dévouement inébranlable. « Chaque matin, je pars pêcher, et je retourne le soir, je vends également le poisson aux clients après la pêche », raconte-t-il, soulignant la dimension commerciale essentielle de leur activité. Il confirme les défis liés à la crue. « Bien que la pêche soit plus difficile lorsque le niveau du fleuve est en hausse, on continue de s’accrocher à ce métier pour subvenir aux besoins de nos familles », estimant que cette persévérance est la marque de leur détermination inébranlable.

Face aux fluctuations imprévisibles du fleuve, l’adaptation est leur maître mot. Les dames aussi sont présentes aux côtés des hommes. Fatima Tienta, par exemple, gère la vente du poisson fraîchement pêché sur les marchés locaux. Elle explique,  « Lorsque le niveau de l’eau est bas, la joie est palpable, car les poissons sont plus faciles à attraper, ce qui nous permet de bien gagner ». Pour eux, la prospérité est directement liée à l’état du fleuve, un indicateur direct de leur bien-être économique et social. « Ainsi, malgré les changements qui affectent notre environnement, on continue de s’adapte », explique-t-elle. 

La pêche, un mode de vie

La vie quotidienne des pêcheurs Bozos sur le fleuve Niger est une illustration frappante de la résilience face aux défis contemporains. Mamoutou Minta et Sidy Traoré, par leurs témoignages poignants, ainsi que Mama Sinanta, Mohamed Kontao et Fatima Tienta, révèlent non seulement l’importance cruciale de la pêche comme source de subsistance, mais aussi comme un élément vital de leur culture, de leur identité et de leur lien indéfectible avec le fleuve. Le poisson, pour eux, n’est pas seulement une ressource à consommer ou à vendre, « c’est la vie elle-même, à consommer, à vendre, et un moyen de faire vivre nos familles ».

Malgré les fluctuations parfois extrêmes du fleuve, les pressions de l’urbanisation galopante qui grignotent leurs terres ancestrales et les impacts des changements environnementaux sur les ressources halieutiques, ces pêcheurs continuent de perpétuer des traditions ancestrales tout en s’adaptant aux réalités changeantes de leur environnement. Leurs récits rappellent avec force que la pêche est bien plus qu’une simple activité économique ; c’est un mode de vie qui nourrit non seulement leur corps, mais aussi leur âme et celle de leur communauté tout entière.

En préservant leur héritage culturel unique et en s’adaptant avec courage aux défis modernes, les Bozos témoignent d’une profonde connexion avec la nature et d’un engagement durable envers leur avenir. Leur résilience est une leçon pour tous, un rappel puissant de la force des traditions face aux mutations profondes du monde.

Ibrahim Kalifa Djitteye 


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